A son retour de la poursuite, Aristéus, voyant que cette partie de l’armée avait été défaite, hésita d’abord de quel côté il tenterait de faire retraite, vers Olynthe ou vers Potidée. Le parti auquel il s’arrêta, fut de serrer sa troupe autant que possible et de se jeter à la course dans Potidée. Il y réussit, non sans peine, en marchant dans la mer le long de la berme En termes de constructions maritimes on appelle herme ou fisberme un enrochement destiné à protéger contre les vagues le pied d’un mur baigné par la mer. et sous une grêle de traits Potidée occupait toute la largeur de l’isthme, et ses murs étaient de part et d’autre battus par les flots. Aristéus ne pouvait pénétrer dans la ville par les portes dites de Thrace, tournées vers le continent, et apparemment fermées pour empêcher les Athéniens de s’y jeter tout d’un trait avec les fuyards. Il fut donc obligé dé gagner les portes ouvrant sur la Pallène, et pour cet effet de longer le pied du mur de la ville, en s’exposant aux traits des vaisseaux Athéniens. . Il perdit quelques hommes, mais il sauva le plus grand nombre. Quant au corps placé en observation en avant d’Olynthe, — cette ville s’aperçoit de Potidée, dont elle n’est éloignée que de soixante stades Le stade, mesure de distances, équivaut à cent quatre-vingt-cinq mètres. Il faut huit stades grecs pour faire un mille romain. ,— lorsqu’on eut arboré les signaux et que l’action fut engagée, il fit un mouvement en avant pour y prendre part; mais les cavaliers macédoniens lui barrèrent le passage. D’ailleurs, comme la victoire se déclara promptement en faveur des Athéniens, l’armée d’Olynthe, voyant les signaux abaissés, rentra dans la place, et les Macédoniens rejoignirent les Athéniens. Ainsi des deux côtés la cavalerie ne fut pas engagée. Après ce combat, les Athéniens érigèrent un trophée et rendirent les morts par composition. Les Potidéates et leurs alliés avaient perdu un peu moins de trois cents hommes ; les Athéniens cent cinquante, avec Callias leur général. Aussitôt les Athéniens tracèrent des lignes et bloquèrent la ville du côté de l’isthme Le mur construit par les Athéniens pour bloquer la ville du côté de l’isthme devait être double, afin d’être à l’abri des attaques du dehors. Celui qu’ils élevèrent plus tard du côté de la Pallène pouvait être simple, puisqu’il n’y avait rien à craindre de la part de la péninsule. Une fois ces murs élevés, il suffisait d’une garnison pour les défendre; le reste de Tannée devenait disponible. ; mais ils laissèrent libre le côté qui regarde la Pallène. Il leur semblait impossible de passer dans cette presqu’île pour y établir des lignes obsidionales, tout en continuant à garder l’isthme; se diviser ainsi, n’eût été prêter le flanc aux attaques des ennemis. Lorsqu’on sut à Athènes que Potidée n’était pas investie du côté de la Pallène, on envoya un renfort de seize cents hoplites athéniens, sous les ordres de Phormion, fils d’Asopios. Ce général arriva dans la Pallène; et, prenant Aphytis Petite ville maritime, sur la côte S. O. de la Pallène. comme point de départ; il s’avança lentement vers Potidée en ravageant le pays. Personne ne se présenta pour le combattre, et il éleva une circonvallation du côté de la Pallène. Ainsi Potidée se trouva étroitement cernée de part et d’autre, en même temps que la flotte la bloquait par mer. Aristéus, voyant la place investie et sans espoir de salut, à moins d’un secours du Péloponèse ou de quelque autre événement inespéré, conseilla aux Potidéates de ne laisser dans la ville que cinq cents hommes, pour ménager les vivres, et de profiter du premier vent favorable pour faire sortir le reste de la population. Il offrait d’être lui-même au nombre des demeurants; mais son avis ne fut pas goûté. Voulant donc prendre les dispositions devenues nécessaires et mettre dans le meilleur ordre possible les affaires du dehors, il sortit par mer, en se dérobant à la croisière athénienne. Il se rendit chez les Chalcidéens, et fit la guerre de concert avec eux. C’est ainsi qu’il tua bon nombre de Sermyüens Sermylé, petite ville située sur l’isthme de la la presqu’île Sithonia, à ΓΕ. de la Pallène. Elle était alors alliée des Athéniens. dans une embuscade qu’il leur tendit sous les murs de leur ville. En même temps, il agissait dans le Péloponèse pour obtenir quelque secours. Après l’investissement de Potidée, Phormion prit avec lui sa troupe de seize cents hommes et alla ravager la Chalcidique etla Bottique Pays habité à cette époque par les Bottiéens, peuple d’origine grecque et alors allié des Chalcidéens. Ce pays était situé à ΓΕ. de Potidée et du golfe Tliermaïque. Primitivement les Bottiéens avaient habité à ΓΟ. de ce golfe, sur la rive droite du fleuve Axios; mais ils avaient été chassés de là par les Macédoniens. Le nom de Bottiée ou Bottie était resté à leur ancien pays «(II, xc). Il ne faut donc pas confondre la Bottiée, province macédonienne (capitale Pella), avec la Bol-tique f habitée par des Grecs. Dans l’invasion de la Macédoine (II, c, ci), Sitalcès ravage la Bottique, mais ne pénètre pas jusqu’à la Bottiée. , où il s’empara de quelques bourgades. Tels furent, entre Athènes et le Péloponèse, les griefs qui précédèrent la guerre. Les Corinthiens se plaignaient que leur colonie de Potidée, avec les soldats de Corinthe et du Péloponèse qu’elle renfermait, fût assiégée par les Athéniens. Ceux-ci à leur tour accusaient les Péloponésiens d’avoir insurgé une ville alliée et tributaire d’Athènes et d’être venus les combattre ouvertement, de concert avec les Potidéates. Néanmoins, la rupture n'avait pas encqre éclaté; la trêve subsistait toüjours; car les Corinthiens n’avaient pas agi en vertu d’une délibération publique. Mais quand ils virent Potidée investie, ils ne se tinrent plus en repos. Craignant et pour la place et pour ceux des leurs qui s’y trouvaient, ils invitèrent leurs alliés à se rencontrer à Lacédémone. Eux-mêmes s’y rendirent et accusèrent hautement les Athéniens d’avoir rompu le traité et offensé le Péloponèse. Les tëginètes n’osèrent pas envoyer ostensiblement une ambassade; mais ils poussèrent sourdement à la guerre, sous prétexte qu’ils ne jouissaient pas de l’indépendance qui leur avait été garantie par le traité. Les Lacédémoniens, après avoir convoqué ceux de leurs alliés qui avaient à se plaindre d’Athènes, à quelque titre que ce fût, tinrent leur assemblée ordinaire 11 se tint à Lacédémone deux assemblées distinctes au sujet de la guerre. Dans la première, dont il est ici question, les Lacédémoniens sont réunis pour entendre les plaintes de leurs alliés et pour décider en principe s’il y a lieu de regarder le traité de paix comme rompu. Dans la seconde (ch. cxix), les députés de toutes les villes alliées sont convoqués à Lacédémone, avec voix délibérative, pour voter la déclaration de guerre aux Athéniens. Dans cette dernière assemblée, on vote par ville et non par tête. et les invitèrent à parler. Plusieurs répondirent à cet appel et firent successivement entendre leurs griefs. En particulier les Méga-riens articulèrent diverses accusations graves ; ils se plaignirent surtout de ce que les Athéniens, contrairement au traité, leur fermaient tous les ports de leur obéissance ainsi que le marché d’Athènes Ce décret, qui tuait le commerce de Mégare, fut porté par Cha-rinos, à l’instigation de Périclès, probablement dans l’été de l’année 432 av. J. C., très-peu de temps avant l’assemblée actuelle. Voyez Plutarque (Périclès, xxix) et plusieurs allusions d’Aristophane. . Les Corinthiens, après avoir laissé les autres alliés aigrir les Lacédémoniens, parurent les derniers et s’exprimèrent ainsi : « Lacédémoniens, la loyauté qui chez vous préside aux relations publiques et particulières fait que vous n’écoutez pas sans défiance les imputations dont on charge autrui. Si d’une part cette qualité est une marque de sagesse, de l'autre elle vous laisse dans une profonde ignorance des affaires du dehors. Bien que nous vous ayons plus d’une fois prévenus des torts que les Athéniens s’apprêtaient à nous faire, vous n’avez pas tenu compte de nos avertissements et vous les avez crus dictés par notre ressentiment personnel. Voilà pourquoi ce n’est pas avant l’offense reçue, mais seulement au moment où le mal s’accomplit, que vous avez convoqué les alliés ici présents, devant lesquels il nous appartient d’autant mieux de prendre la parole, que nous avons les plus justes motifs de plainte, nous qui sommes victimes à la fois des outrages d’Athènes et de votre indifférence, « Si les injustices des Athéniens envers la Grèce étaient secrètes, il faudrait éclairer ceux qui pourraient les ignorer ; mais qu’est-il besoin de longs discours contre des gens qui, vous le voyez, ont déjà asservi les uns, dressent des embûches aux autres, surtout à nos alliés, et se sont préparés de longue main à la guerre? Autrement ils ne nous auraient pas enlevé Gorcyre et ils n’assiégeraient pas Potidée, deux places dont l’une est admirablement située pour favoriser toutes les entreprises sur le littoral de la Thrace, tandis que l’autre eût donné aux Péloponésiens une marine imposante. « La faute en est à vous, qui leur avez permis d’abord de fortifier leur ville après les guerres Médiques, puis d’élever les longs murs, et qui n’avez cessé de ravir la liberté, non-seulement à leurs sujets, mais encore à vos propres alliés; car le véritable auteur de l’asservissement n’est pas tant celui qui l’impose, que celui qui, pouvant l’empécher, néglige de le faire, surtout s’il aspire au titre glorieux de libératéur de la Grèce. « Puis c’est à grand’peine que nous avons été assemblés, sans même que la question soit nettement posée. Il s’agissait en effet de savoir, non pas si nous étions offensés, mais comment nous repousserions les offenses. Ceux qui les commettent s’avancent contre nous sans retard et avec un parti pris, tandis que nous délibérons encore. Nous connaissons par quelle marche progressive les Athéniens poursuivent le cours de leurs empiétements; aussi longtemps qu’ils se sont flattés, grâce à votre apathie, de rester dans l’ombre, ils ont modéré leur audace; mais une fois qu’ils vous sauront instruits et indifférents, ils se donneront libre carrière. Vous êtes les seuls des Grecs qui vous plaisiez dans l’inaction, qui vous défendiez non par les armes, mais par l’inertie; les seuls qui, pour abattre un adversaire, attendiez que ses forces soient doublées, au lieu de Pattaquer au début. « Et pourtant Ton vantait la fermeté de votre politique ; mais l’éloge était peu mérité. Nous savons que le Mède est arrivé des extrémités de la terre jusqu’au Péloponèse, avant de rencontrer de votre part une résistance sérieuse; et aujourd’hui vous fermez les yeux sur les entreprises des Athéniens, qui ne sont pas éloignés comme lui, mais qui sont à nos portes. Au lieu de prévenir leurs attaques, vous préférez les attendre et courir les chances de la lutte contre un ennemi devenu plus puissant. Vous n’ignorez pas cependant que le Barbare n’a dû qu’à lui-même la majeure partie de ses revers, et que, si nous avons jusqu’ici résisté aux coups des Athéniens, c’est grâce à leurs propres fautes bien plus qu’à votre appui ; car les espérances placées en vous ont déjà perdu bien des gens, qui, par excès de confiance, ont été pris au dépourvu. « Que nul de vous ne voie dans nos paroles des accusations haineuses plutôt qu’une juste remontrance ; les remontrances s’adressent à des amis en faute, les accusations à de coupables ennemis. « D’ailleurs nous pensons avoir, plus que personne, le droit d’infliger le blâme à autrui, éar de graves intérêts sont engagés de notre côté, sans que vous paraissiez vous en faire une juste idée. Vous n’avez pas réfléchi non plus au caractère de ces Athéniens que vous allez avoir à combattre, caractère qui contraste si complètement avec le vôtre. « Us sont entreprenants et aussi prompts à exécuter un projet qu’à le concevoir; vous, il vous suffit de conserver ce que vous possédez; jamais vous ne visez au delà, jamais voifs ne prenez même les mesures indispensables. Us ont plus d’audace que de force, plus de témérité que de jugement; ils vivent d'espérance au milieu même des revers. Chez vous au contraire Faction ne répond jamais à la puissance ; vous vous défiez des choses même les plus sûres, et ne pensez jamais pouvoir sortir d’un mauvais pas. Ils aiment le mouvement, vous le repos; volontiers ils courent le monde, tandis qu’il n’y a pas d’hommes plus sédentaires que vous; sortir de ses foyers leur paraît un moyen d’accroître ses possessions, à vous de les compromettre. Vainqueurs de leurs ennemis, ils s’élancent à de nouvelles conquêtes; vaincus, ils ne se laissent abattre qu’un instant. Dès qu’il faut servir leur patrie, rien de moins à eux que leurs corps, rien de plus à eux que leur esprit. Échouent-ils dans leurs desseins, ils crient qu’on les dépouille; réussissent-ils, c’est peu en comparaison de ce qu’ils prétendent. Trompés dans leurs efforts, iîs se consolent par de nouvelles combinaisons; pour eux seuls l’espoir est réalisé aussitôt que conçu, tant l’action suit de près la pensée. Tout cela se poursuit avec des fatigues et des dangers sans fin; ils ne se donnent pas le temps de jouir, car ils ont hâte d'acquérir davantage. Pour eux, la meilleure fête, c’est le devoir accompli Critique. indirecte des Lacédémoniens, qui ne se détournaient à aucun prix de la célébration de leurs grandes fêtes, tes Hyacinthies et les Carnies. Il est reconnu que ce qui retarda leur départ lors de la bataille de Marathon, fut ce genre de scrupule, plutôt que la raison alléguée par Hérodote (VI, cvi) et qui consistait à attendre la pleine lune. Voyez un exemple du même genre pour les -Gymnopédies (liv. V, cb. Lxxxii). ; une oisive tranquillité leur paraît plus à plainàre qu’une activité laborieuse. En sorte que, pour les caractériser d’un seul mot, on peut dire qu’ils sont nés pour n’être jamais en repos et n’y jamais laisser les autres. « Et c’est en présence de tels antagonistes que vous vous croisez les brasl Vous ne croyez pas que le meilleur moyen d’assurer la paix soit de se préparer à la guerre tout en respectant la justice, tout en se montrant résolu à ne pas endurer un affront. Pour vous l’équité consiste à ne pas offenser les autres et à ne pas vous exposer pour votre propre défense. Vous y réussiriez à peine, si vous aviez des voisins qui vous ressemblassent; mais, nous venons de le dire, vos principes sont surannés en comparaison de ceux d’Athènes. Or il en est de la politique comme des arts ; ce sont toujours les nouveaux procédés qui prévalent. Pour une ville pacifique, rien de mieux que l’immobilité; mais, quand on est forcé de faire face de plusieurs côtés à la fois, il faut être fécond en ressources. Voilà pourquoi la politique des Athéniens, avec leur humeur aventureuse, a admis plus d’idées neuves que là vôtre. Que ce soit donc ici le terme de vos lenteurs. Fidèles à vos promesses, marchez à la défense des Potidéates et de vos autres alliés, en entrant sans retard en Attique ; n’abandonnez pas des amis et des frères à d’implacables ennemis, ne nous réduisez pas à nous jeter, en désespoir de cause, dans les bras d’un autre peuple. Il n’y aurait là de notre part aucune injustice, ni devant les dieux qui reçurent nos serments, ni devant les hommes de sens; car les violateurs de la foi jurée ne sont pas ceux qui, abandonnés à eux-mêmes, cherchent asile et protection, mais ceux qui délaissent leurs confédérés. Si vous montrez de la bonne volonté, nous resterons avec vous; aussi bien ne ferions-nous pas une action louable en changeant d’alliés, et nous n’en pourrions trouver de plus sympathiques. Là-dessus délibérez avec sagesse, et faites en sorte que, sous votre suprématie, le Péloponèse ne descende pas du rang où vos ancêtres l'ont placé. » Ainsi parlèrent les Corinthiens. Il se trouvait alors à Lacédémone des députés athéniens venus pour d’autres affaires. Informés des discours qui se tenaient dans l’assemblée, ils jugèrent à propos de s’y présenter, nullement pour repousser les inculpations des villes, mais pour montrer qu’il ne fallait rien décider à la hâte et sans mûr examen. Ils voulaient faire connaître toute l’étendue de la puissance d’Athènes, raviver les souvenirs des vieillards et instruire les jeunes gens de ce qu’ils pouvaient ignorer; en un mot, ils espéraient ramener les Lacédémoniens à des idées de paix. Ils se présentèrent donc et dirent qü’ils désiraient obtenir audience, s’il n’y avait pas d’empêchement. Admis dans l'assemblée, ils parurent à la tribune et prononcèrent le discours suivant : « Nous n’avons pas été députés vers vous pour entrer en lice avec vos alliés, mais pour nous acquitter de notre mission. Cependant, informés qu’il s’élève contre nous de violentes clameurs, nous avons demandé la parole, non pour répondre aux villes qui nous accusent, — car vous ne sauriez être juges entre elles et nous, — mais afin que, dans une affaire de cette gravité, vous ne preniez pas légèrement et sur leurs discours une résolution fâcheuse. D’ailleurs nous désirons, au sujet de la question soulevée contre nous, faire voir que ce que nous possédons nous l’avons acquis sans injustice, et que notre ville mérite que l’on compte avec elle. « A quoi bon remonter aux temps tout à fait anciens, qui nous sont connus seulement par de vagues traditions? Mais les guerres Médiques et autres événements dont vous avez une connaissance personnelle, nous sommes forcés de les rappeler, dût-on nous reprocher d'y revenir sans cesse. Lorsque nous bravions le danger, c'était dan ^l’intérêt de tous; et, puisque vous avez eu votre part des résultats, qu’il ne nous soit pas interdit d’en rappeler le souvenir, pour peu qu’il nous soit utile. Nous parlerons bien moins pour nous disculper, que pour vous faire voir quelle est la ville que vous aurez à combattre, si vous prenez une résolution funeste. t Disons-le donc : à Marathon nous fûmes les premiers et les seuls à combattre le Barbare ; et lorsqu’il vint pour la seconde fois, trop faibles pour lui résister sur terre, nous montâmes sur nos vaisseaux, et notre peuple tout entier livra le combat naval de Salamine; nous empêchâmes une innombrable flotte de ravager une à une les villes du Péloponèse, incapables de se prêter un mutuel appui. Le roi lui-mème le fit bien voir: vaincu sur mer, il se retira précipitamment avec la majeure partie de ses troupes, ne se jugeant plus en état de continuer la lutte. « En cet événement qui montra d’une manière éclatante que le salut des Grecs était dans leurs navires, nous mîmes pour notre part au service de la Grèce les trois principaux éléments de succès : les vaisseaux les plus nombreux, le général le plus habile et un zèle à toute épreuve. Sur quatre cents vaisseaux, nous en fournîmes à peu près les deux tiers D’après Hérodote (VIII, xlviii), le nombre exact des vaisseaux grecs rassemblés à Salamine était de trois cent soixante-dix-huit; celui des vaisseaux athéniens de deux cents (dont cent quatre-vingts montés par les Athéniens ou par les Platéens, et vingt prêtés à la ville de Chalcis). Le rapport indiqué par Thucydide est donc exagéré à l’avantage des Athéniens. Ce sont licences oratoires. La leçon τετρακοσίας est celle de tous les bons manuscrits. Poppo a cependant préféré τριακόσια;. Si ce dernier chiffre était véritable, l’orateur athénien n’aurait eu garde de dire à peu près deux tiers. ; notre général fut ce Thémistocle, qui obtint qu’on livrerait bataille dans un détroit, et qui par là évidemment sauva la patrie commune : aussi lui avez-vous décerné plus d’honneurs qu’à aucun des étrangers qui sont venus jamais à Lacédémone Hérodote (VIII, cxxiv) rapporte que Thémistode s’étant rendu à Lacédémone après la bataille de Salamine, y reçut le plus honorable accueil. On lui décerna une couronne de laurier ; on lui fit présent du plus beau char qu’il y eût dans la ville; enfin, à son départ, trois cents jeunes gens à cheval l’accompagnèrent jusqu’à la frontière. ; enfin notre zèle fut poussé jusqu’aux dernières limites. Quand nous vîmes que, par terre, nul ne venait à notre aide, et que les autres peuples jusqu’à nos frontières étaient asservis, nous abandonnâmes notre ville, nous détruisîmes nos propriétés; et, ne voulant pas même alors trahir les alliés qui nous restaient encore, ou par notre dispersion leur devenir inutiles, nous montâmes sur nos vaisseaux pour affronter l’orage, sans vous garder rancune de votre tiédeur à nous secourir. Aussi pouvons-nous affirmer que nous ne fîmes pas moins pour vous que pour nous-mêmes. Quant à vous, c’est en laissant vos villes habitées, c’est pour en coqperver la possession, qu’alarmés sur votre salut bien plus que sur le nôtre, vous vous mîtes en campagne : car tant qu’Athènes fut debout, rien ne vint de votre côté ; tandis que nous, c’est en partant d’une ville qui n’existait plus, c’est en bravant le péril avec une bien faible espérance de la reconquérir, que nous aidâmes à vous sauver en nous sauvant nous-mêmes. Si au contraire, craignant comme tant d’autres pour notre pays, nous nous étions d’abord soumis aux Mèdes, ou que plus tard, nous considérant comme perdus, nous n’eussions pas eu le courage de nous embarquer, l’insuffisance de votre marine vous eût empêchés de livrer une bataille navale, et le Barbare fût arrivé sans obstacle à ses fins. « Après tant de preuves de dévouement et d’intelligence, est-il juste que l’empire que nous possédons excite ace point la jalousie des Grecs? Nous l’avons acquis cet empire, non par violence, mais parce que les alliés, lorsque vous refusâtes d’achever la guerre contre les Barbares, nous déférèrent le commandement. Nous avons été contraints dès l’abord et par la nature des choses de donner à cet empire son extension actuelle ; en cela nous avons écouté la crainte, l’honneur et l'intérêt. En bntte à la haine générale, forcés de réprimer des défections, voyant votre vieille amitié faire place à la suspicion et à la malveillance, nous avons jugé périlleux de nous relâcher sur nos droits et de permettre aux défectionnaires de passer de votre côté. Or nul ne peut trouver materais qu'en présence des plus grands dangers on prenne soin de ses intérêts. « Vous-mêmes, Lacédémoniens, vous commandez aux villes du Péloponèse, en y établissant le régime qui vous convient; mais si, dans le temps, vous aviez continué la guerre et encouru comme nous la haine dans le commandement, comme nous aussi vous auriez été à charge à vos alliés et obligés de les gouverner avec vigueur, sous peine de craindre pour vous-mêmes. « Ainsi nous n’avdns rien fait d’étrange ni de contraire à la nature humaine, en acceptant un empire qu’on nous oiTrait, et en le retenant d’une main ferme, dominés comme nous l’étions par les motifs les plus puissants, l’honneur, la crainte et l’intérêt. Ce n’est pas nous qui avons donné un tel exemple ; de tout temps il a été admis que le plus faible fût maîtrisé par le plus fort. D’ailleurs nous croyons être dignes de l’empire, et vous en avez ainsi jugé vous-mêmes jusqu’au moment où des vues intéressées vous ont fait mettre en avant ces principes de justice qui n’ont jamais empêché personne de s’agrandir par la force, quand l’occasion s'en présentait. Ils méritent des louanges, ceux qui, tout en obéissant au penchant naturel à l’homme pour la domination, montrent plus d’équité que ne le permettrait leur puissance. Si le hasard voulait que d’autres prissent notre place, on verrait bientôt par comparaison combien nous sommes modérés. Et pourtant cette modération, loin de nous valoir de justes éloges, n’a été pour nous qu’une source de blâme. « Nous avons beau, dans toutes nos contestations avec nos alliés, nous relâcher de nos droits, et maintenir l’égalité devant la loi, nous n’en passons pas moins pour rechercher les procès Il s’agit ici des procès entre les Athéniens et leurs alliés. Chez les Grecs, le droit de rendre la justice était inséparable du droit de législation, dont il émanait. Aussi, dès qu’un £tat perdait son autonomie, il perdait en même temps sa juridiction. Il résultait de là que la plupart des alliés d’Athènes, réduits à l’état de sujets, étaient obligés d’aller plaider leurs causes devant les tribunaux de la ville souveraine, au risqué d’y rencontrer peu d’impartialité, lorsque leur partie adverse était un citoyen d’Athènes. . Personne ne se demande pourquoi l’on ne fait pas le même reproche à tous ceux qui commandent à d’autres peuples et qui se montrent moins modérés que nous envers leurs sujets: c’est que, lorsqu’on peut user de violence, on n’a que faire de procès. Mais nos alliés, habitués à vivre avec nous sur un pied d’égalité, viennent-ils à éprouver quelque mécompte par suite d’une divergence d’opinion ou de l’autorité que nous donne notre prééminence, au lieu d’être reconnaissants de ce qu’on ne leur ôte pas le plus, mais seulement le moins, ils montrent plus de colère que si d’emblée nous eussions mis de côté la loi et commis des usurpations manifestes. Dans ce cas, ils n’auraient pas même songé à protester contre la soumission du plus, faible au plus foTt. C'est qu’apparemment on s’irrite plus de l’injustice que de la violence : la première, venant d’un égal, semble-être une usurpation ; la seconde, appuyée sur la force, passe pour une nécessité. Ainsi nos alliés, quoiqu’ils eussent à subir, sous l’oppression éu Mède, des lois bien plus rigoureuses, ne laissaient pas de s’y résigner, tandis que notre autorité leur paraît tyrannique. Faut-il s’en étonner? La domination présente est toujours odieuse. Quant à vous, s’il vous arrivait de nous supplanter et d’hériter de notre prééminence, vous ne tarderiez pas à voir s’évanouir cette faveur dont vous jouissez grâce à la crainte que nous inspirons, surtout si vous suiviez les mêmes principes que pendant la courte durée de votre commandement dans la guerre Médique Allusion à la conduite despotique de Pausanias (ch. xcv), laquelle fut une des principales causes du mouvement qui porta les alliés ioniens et insulaires à -abandonner l’alliance de Lacédémone pour se ranger sous celle d’Athènes. ; en effet, vos mœurs sont incompatibles avec celles des autres nations, sans compter que chacun de vous, une fois hors de son pays, ne suit plus ni les usages de sa patrie ni ceux du reste de la Grèce. « Délibérez donc mûrement, comme le mérite une question de la plus haute importance ; et n’allez pas, sur des idées et des accusations étrangères, vous jeter dans des embarras personnels. Avant de vous engager dans la guerre, songez à la grandeur des mécomptes qu’elle entraîne ; en se pro longeant, elle se plaît à multiplier les chances incertaines dont nos deux peuples sont encore éloignés pour le moment, sans qu’on puisse savoir quel est celui des deux partis que favorisera l’avenir. Quand on entreprend une guerre, on commence par où l’on devrait finir : on débute par les actions, et l’on attend d’avoir souffert pour avoir recours aux paroles. Pour nous, qui n’avons pas commis ce genre de faute et qui ne vous y voyons pas disposés, nous vous conseillons, pendant que nos résolutions sont libres encore, de ne pas rompre le traité et de ne pas violer les serments, mais de régler nos différends à l’amiable, conformément aux conventions; autrement, nous prendrons à témoin les dieux vengeurs du parjure, et nous tâcherons de nous défendre en suivant la route que nous auront tracée nos agresseurs. » Tel fut le discours des députés d’Athènes. Les Lacédémoniens, après avoir entendu les plaintes de leurs alliés et la réponse des Athéniens, les firent tous retirer et délibérèrent entre eux sur la question proposée. La majorité inclinait à prononcer que les Athéniens étaient coupables, et qu’il fallait leur déclarer la guerre immédiatement. Alors Archidamos, roi des Lacédémoniens, renommé pour ses lumières et pour sa modération, prit la parole et dit : « J’ai traversé bon nombre de guerres, et je vois ici bien des gens de mon âge qui peuvent en dire autant ; ils n’imiteront donc pas le commun des hommes qui, par inexpérience, désirent la guerre, parce qu'ils la croient profitable et sans danger. « Celle qui fait l’objet de votre délibération ne vous paraîtra pas sans importance, pour peu que vous y réfléchissiez. Aux Péloponésiens, aux peuples de notre voisinage, nous pouvons opposer une force égale, et ils sont à portée de nos coups ; mais comment entreprendre légèrement une lutte contre des hommes qui habitent une terre éloignée, qui ont une grande expérience de la mer, qui sont abondamment pourvus de toutes choses, richesses privées et publiques, vaisseaux, chevaux, armes, population plus nombreuse qu’en aucune autre contrée de la Grèce, et qui de plus Ont une foule d’alliés tributaires? Et sur quoi compterions-nous, pour nous hâter avant d’être suffisamment préparés? Sur notre marine? Mais à cet égard nous leur sommes inférieurs ; et, si nous voulons nous exercer et nous mettre en état de leur tenir tête, il faudra du temps. Sur nos finances? Encore moins; car nous n’avons pas de trésor public, et nous sommes peu disposés à contribuer de nos deniers. « Peut-être se repose-t-on sur notre supériorité militaire et numérique, et pense-t-on qu’il nous serait facile de ravager leur territoire par des invasions réitérées. Mais les Athéniens possèdent beaucoup d’autres pays soumis à leur domination, et ils se procureront par mer ce qui leur manque. Si nous essayons d’insurger leurs alliés, il faudra des flottes pour les soutenir; car ils sont la plupart insulaires. Quelle espèce de guerre ferons-nous donc? A moins d’être les plus forts sur mer ou de leur enlever les revenus qui alimentent leur marine, nous recevrons plus de mal que nous n’en ferons. Π ne sera plus possible de quitter les armes avec honneur, surtout après avoir été leà premiers à les prendre. « Ne nous berçons pas dé l’idée que cette guèrre se terminera promptement, si nous dévastons le pays ennemi. Je crains bien plutôt que nous ne la transmettions à nos enfants, tant il est improbable que les Athéniens, ce peuple si fier, se rendent esclaves de leur territoire, ou se laissent intimider par la guerre, comme si c’était chose nouvelle pour eux. «. Je ne prétends pas que nous devions être insensibles au malaise de nos alliés, ou fermer les yeux sur les embûches qui leur sont tendues; ce que je dis, c’est qu-il ne faut pas encore faire appel aux armes, mais envoyer des députés et articuler nos griefs, sans menaces de guerre ni lâche condescendance. En attendant nous pousserons nos préparatifs; nous solliciterons l’adjonction de nouveaux alliés grecs ou barbares, pour tirer d’eux des secours maritimes ou pécuniaires. Et qui pourrait nous faire un crime, menacés comme nous le sommes par les Athéniens, de chercher notre salut dans l’alliance des Grecs et même des Barbares? En même temps, déployons toutes nos ressources. Si les Athéniens écoutent nos réclamations, ce sera bien ; autrement, dans deux ou trois années, nous marcherons contre eux, si on le juge à propos, avec des chances meilleures. Et qui sait si, voyant nos préparatifs en harmonie avec nos paroles, ils ne seront pas plus disposés à céder, surtout quand nous n’aurons pas encore entamé leur territoire, et qu'ils auront à délibérer, non sur des ruines, mais sur des biens encore intacts? Ne croyez pas qu’entre nos mains leur pays soit autre chose qu’un otage, d'autant plus sûr qu’il sera mieux cultivé. Il nous faut donc ménager ce pays le plus possible, et ne pas rendre leur défaite plus difficile en les poussant au désespoir. Si an contraire, avec des préparatifs insuffisants et sur les plaintes de nos alliés, nous nous hâtons de ravager l’Attique, prenez garde que le Péloponèse n’en recueille de la honte et de l’embarras. On peut accorder les querelles des États et des individus; mais lorsque, pour des intérêts particuliers, nous aurons entrepris une guerre générale et d’une issue fort douteuse, il ne sera pas facile de la terminer avec honneur. « N’allez pas vous imaginer que, nombreux comme vous l’êtes et n’ayant affaire qu’à une seule ville, il y ait lâcheté : à ne pas l’attaquer sur-le-champ. Les Athéniens n’ont pas moins d’alliés tributaires que nous ; or la guerre dépend bien moins des armes que de l’argent qui en seconde le succès, surtout quand la lutte est entre une puissance continentale et une puissance maritime. Commençons donc par nous en procurer, et ne nous laissons pas d’abord entraîner par les discours de nos alliés. Puisque c’est nous qui aurons la responsabilité des résultats, quels qu'ils soient, donnons-nous au moins le temps de la réflexion. «Quant à cette lenteur, à cette temporisation qu’on nous reproche, gardez-vous d'en rougir; la précipitation ne ferait que reculer le terme d'une guerre entreprise sans préparatifs. D’ailleurs nous habitons une ville qui n’a pas cessé d’être libre et grandement illustrent ce dont on nous blâme n'est autre chose qu'une sage modération. C’est à cette qualité que nous devons de n’être ni insolents dans les succès, ni abattus comme tant d’autres dans les revers; de ne pas nous laisser précipiter dans le péril par les flatteries qu’on nous adresse, et d’étre impassibles aux reproches par lesquels on essaye de nous irriter. « Cette prudence nous rend à la fois propres à la guerre et au conseil : à la guerre, parce que la modération est la source de l’honneur et l'honneur celle du courage; au conseil, parce que nous avons été élevés trop simplement pour mépriser les lois et trop sévèrement pour les enfreindre ; enfin, parce que n'étant pas initiés aux connaissances oiseuses, nous ne possédons pas l’art de critiquer en belles phrases les plans de nos ennemis, sans nous soucier si nos actions répondront à nos paroles. Nous croyons que les idées d’autrui valent bien les nôtres et qu'on ne peut faire d’avance la part de l’avenir. Il faut toujours présumer nos adversaires bien inspirés et leur opposer des préparatifs réels, ne point placer nos espérances dans les fautes qu'ils pourront commettre, mais plutôt dans la justesse de nos calculs. Ne vous figurez pas qu’il y ait une grande différence entre un homme et un autre homme : s’il en est un qui excelle, c’est celui qui a été formé à l’école de la nécessité. « N’abandonnons pas les maximes que nos pères nous ont léguées et dont nous nous sommes toujours bien trouvés. Ne décidons pas en un seul instant du sort de tant d’hommes, de tant de richesses, de tant de villes, de tant de gloire ; mais délibérons à loisir ; nous le pouvons mieux que d’autres parce que nous sommes forts. Envoyons à Athènes une première ambassade au sujet de Potidée, une seconde pour exposer les plaintes de nos alliés; c'est un devoir, puisque les Athéniens offrent l’arbitrage, et que celui qui s'y réfère ne doit pas être de prime abord traité en ennemi. Pendant ce temps, préparons-nous à la guerre; c’est le meilleur parti à prendre, celui qui inspirera à nos adversaires le plue de terreur. » Tel fut le discours d’Archidamos. SthénélaïdasT un des éphores en charge, s’avança le dernier et dit : « Je n’entends rien à toutes les arguties des Athéniens. Ils se sont donné force louanges, mais n’ont nullement prouvé qu'ils ne portent pas atteinte aux droits de nos alliés et à ceux du Péloponèse. Si jadis leur conduite fut belle contre les Mèdes et qu’aujourd'hui elle soit coupable envers nous, ils méritent une double peine , pour être devenus méchants de bons qu’ils étaient. Pour nous, nous sommes toujours les mêmes; et, si nous sommes sages, nous ne souffrirons pas qu’on offense nos alliés ; nous n’hésiterons pas à prendre leur défense, puisqu'on n'hésite pas à les maltraiter; D’autres ont de l’argent, des vaisseaux, des chevaux en abondance : nous avons, nous, de braves alliés, qu’il ne faut pas livrer aux Athéniens. Il ne s’agit pas ici de discussions ni de paroles, car ce n'est pas en paroles qu’ils sont attaqués; il faut leur porter secours au plus tôt et de toutes nos forces. Que nous parle-t-on de délibérer lorsqu’on nous outrage? C’est à ceux qui méditent l’injustice à délibérer longuement. Votez donc la guerre, Lacédémoniens, comme il est digne de Sparte; ne laissez pas les Athéniens s’agrandir davantage et ne trahissez pas vos alliés; mais, avec l’aide des dieux, marchez contre de perfides agresseurs. » Il dit, et, en sa qualité d’éphore, il mit lui-même la question aux voix dans l’assemblée des Lacédémoniens. Or, comme ceux-ci votent par^ acclamation et non au scrutin, il prétendit ne pas discerner quel était le cri le plus fort; et voulant les exciter encore plus à la guerre en rendant le suffrage manifeste : « Que ceux de vous, dit-il, qui regardent la paix comme rompue et les Athéniens comme coupables, se lèvent et passent de ce côté; que ceux qui sont d’un avis contraire passent de l’autre. » Les Lacédémoniens se levèrent et se partagèrent; une majorité imposante déclara le traité rompu. En conséquence, ils rappelèrent les alliés, et leur dirent qu’ils donnaient tort aux Athéniens; mais qu’ils voulaient, avant de leur déclarer la guerre, réunir tous les alliés et leur soumettre la question, afin d’agir d’un commun accord. Là-dessus les alliés s’en retournèrent; les députés d’Athènes partirent plus tard, après s’être acquittés de leur mandat. Ce vote de l’assemblée, qui déclarait le traité rompu, eut lieu la quatorzième année de la paix de trente ans, conclue après la conquête de l'Eubée L’an 432 avant Jésus-Christ. . En proclamant la rupture du traité et en votant la guerre, les Lacédémoniens cédèrent moins aux sollicitations de leurs alliés qu’à la crainte que leur causaient les Athéniens. Ils les voyaient déjà maîtres d’une partie de la Grèce, et ils avaient peur qu’ils ne s'agrandissent encore davantage. Il me reste maintenant à raconter de quelle manière les Athéniens étaient parvenus à la suprématie qui contribua tant à leur puissance. Quand les Mèdes eurent quitté l'Europe, vaincus par les Grecs sur terre et sur mer; quand ceux d’entre eux qui, avec leurs vaisseaux, avaient cherché un refuge à Mycale, eurent été détruits, Léotychidas, roi des Lacédémoniens, qui commandait les Grecs en cette journée, retourna dans sa patrie avec les alliés du Péloponèse. Les Athéniens au contraire, avec les alliés de l’Ionie et de l’Hellespont déjà révoltés contre le roi, continuèrent la guerre et mirent le siège devant Sestos, que les Mèdes occupaient. Ils passèrent l’hiver sous les murs de cette place, dont ils s’emparèrent après la retraite des Barbares. Ensuite ils abandonnèrent l’Hellespont, et chacun regagna ses foyers. A peine l'Attique avait-elle été évacuée parles Barbares, que les Athéniens faisaient revenir des lieux où ils les avaient mis à l’abri leurs enfants, leurs femmes et le restant de leure effets; après quoi ils se disposèrent à reconstruire leur ville et leurs murailles. Il ne subsistait presque rien de l’ancienne enceinte ; la plupart des maisons étaient tombées, sauf quelques-unes, qu'avaient occupées les principaux des Perses. Les Lacédémoniens, informés de ce projet, envoyèrent une ambassade à Athènes. Pour leur part, ils auraient vu avec plaisir que ni cette ville ni aucune autre n’eût de murailles; mais ils obéissaient surtout aux instances de leurs alliés, inquiets de l’essor qu’avait pris la marine autrefois nulle des Athéniens, et de l’audace déployée par eux dans la guerre Médique. Les députés invitèrent donc les Athéniens à ne point fortifier leur ville, mais plutôt à se joindre à eux pour détruire tous les remparts élevés en dehors du Péloponèse. Ils dissimulaient leurs intentions et leurs défiances ; mais il ne fallait pas, disaient-ils, que le Barbare, si jamais il revenait, pût trouver une place forte qui servît de base à ses opérations, comme cela s’était vu en dernier lieu pour Thèbes On sait que Thèbes servit de quartier général à Mardonius, et qu’après la bataille de Platée, les Grecs furent obligés de faire le siège de cette ville (Hérodote, liv. IX, ch. xin et lxxxvi). . Le Péloponèse, ajoutaient-ils, peut offrir à tous les Grecs une retraite et une place d’armes suffisantes. Les Athéniens, d’après l’avis de Themistocle, congédièrent à l’instant cette ambassade, avec réponse qu'ils allaient députer à Lacédémone sur ce sujet. Thémistocle demanda d’être envoyé lui-même sur-le-champ. Il conseilla de ne point faire partir aussitôt ceux qu’on lui donnerait pour collègues, mais de les retenir jusqu’à ce que la muraille eût atteint la hauteur strictement nécessaire pour soutenir un assaut. Toute la population, hommes, femmes et enfants, eut ordre de mettre la main à l’œuvre, sans épargner ni édifice public ni construction particulière, mais de démolir indistinctement tout ce qui pouvait servir aux travaux. Après avoir donné ces instructions et laissé entendre qu’il femit le reste à Lacédémone, Thémistocle partit. Arrivé tlans cette ville, au lieu de se rendre auprès des autorités, H usa d'atermoiements et de défaites ; et lorsqu’on lui demandait pourquoi il ne se présentait pas à l’assemblée, il répondait qu’il attendait ses collègues demeurés en arrière pour terminer quelques affaires, mais qu’il comptait sur leur arrivée prochaine et s’étonnait de leur retard. On croyait Thémistocle, parce qu’on avait pour lui de l’affection. Cependant il arrivait des gens qui annonçaient d’une manière positive qu’Athènes se fortifiait et que le mur prenait déjà de l’élévation; il n’y avait plus moyen d’en douter. Alors Thémistocle, s’apercevant de l’effet produit par ces nouvelles, conseilla aux Lacédémoniens de ne pas ajouter foi à de vaines rumeurs, mais d’envoyer quelques-uns de leurs concitoyens les plus considérés, qui feraient un rapport fidèle après avoir vu les choses par leurs yeux. On les fit donc partir. Thémistocle manda sous main aux Athéniens de retenir ces députés d'une manière aussi peu apparente que possible, jusqu’à ce que lui-même et ses collègues fussent de retour (ceux-ci l’avaient enfin rejoint et lui avaient appris que le mur était suffisamment élevé; c’étaient Abronychos fils de Lysiclès et Aristide fils de Lysimachos). Il craignait que les Lacédémoniens, une fois informés, ne les laissassent plus aller. Les Athéniens firent ce qu’il demandait. Alors Thémistocle leva le masque ; et, se présentant aux Lacédémoniens, il leur déclara sans détour qu’Athènes était fortifiée et désormais en état de protéger ses habitants; que si les Lacédémoniens et leurs alliés voulaient y envoyer une députation, ce devait être à l’avenir comme à des hommes qui connaissaient également leurs propres intérêts et ceux de la Grèce; qu’en effet, lorsqu’ils avaient jugé utile d’abandonner leur ville et de monter sur leurs vaisseaux, ils avaient su prendre à eux seuls cette résolution courageuse; et que, dans les délibérations communes, ils ne s'étaient montrés inférieurs en intelligence à personne. Si maintenant ils avaient trouvé bon de fortifier leur ville, c’était dans l’intérêt des alliés non moins que dans le leur ; çar il n’était pas possible, avec des positions inégales, d’apporter dans les discussions communes un esprit d'ensemble et d'égalité. Il fallait donc, ajoutait-il, ou que tous les alliés fussent dépourvus de murailles, ou qu’on approuvât ce qu’Athènes avait fait. Les Lacédémoniens, à ce discours, ne laissèrent percer aucune aigreur contre les Athéniens. En leur envoyant une ambassade, ils n’avaient pas prétendu, dirent-ils, leur donner^ des ordres, mais simplement un conseil dicté par l’intérêt de tous. A cette époque ils étaient dans les meilleurs termes avec les Athéniens, à cause du zèle dont ceux-ci avaient fait preuve dans la guerre Médique; toutefois ils éprouvaient un secret déplaisir d’avoir manqué leur but. Quant aux députés, ils se retirèrent les uns et les autres sans récriminations. C'est ainsi que les Athéniens fortifièrent leur ville dans un court espace de temps. L’ouvrage porte encore aujourd’hui des traces de la précipitation avec laquelle il fut exécuté. Les fondements sont en pierres de toute espèce, non appareillées, telles que chacun les apportait. On y fit entrer jusqu’à des colonnes sépulcrales et des marbres sculptés. L’enceinte de la ville fut élargie en tout sens C’est pour cela qu’on fut obligé de démolir les sépulcres les plus voisins de l’ancienne enceinte ; autrement ils eussent été enclavés dans la nouvelle ville, contrairement à la loi. . L’empressement faisait qu’on remuait tout sans distinction. Thémistocle persuada aussi d’achever les constructions du Pirée, précédemment commencées pendant l’année de son ar-chontat On n’est pas d’accord sur la date de l’archontat de Thémistocle. Clinton [Fasti Hellenici) le place en 481 av. J. C. . Cet endroit lui paraissait favorable à cause de ses trois ports naturels Les trois darses du Pirée s’appelaient Zéa, Aphrodision et Can-thaTos. ; il pensait que les Athéniens trouveraient dans la marine les moyens de parvenir à une grande puissance. Le premier il osa dire qu’il fallait s’adonner à la mer, et il fit aussitôt mettre la main à l’œuvre. D’après son avis, on donna au mur l’épaisseur qu’on lui voit aujourd’hui autour du Pirée; les pierres étaient apportées par des chariots attachés deux à deux Ceci doit s’entendre de chars à deux roues, attachés de manière à n’en former qu’un, ressemblant à un fardier. La pierre, trop grosse pour être placée sur un seul char, était supportée d’un bout par le premier train, de l’autre par le second, comme ceîa se pratique pour le transport des longues pièces de bois. ; dans l’intérieur il n’y avait ni blocage ni mortier, mais le mur consistait en grosses pierres de taille, jointes par des crampons defer scellés avec du plomb. La hauteur totale ne fut guère que la moitié de ce que projetait Thémistocle ; il eût voulu que l’élévation et l’épaisseur de ces murailles défiassent tous les assauts, et il pensait que pour la défense il suffirait d’un petit nombre des hommes les moins valides, tandis que les autres monteraient sur les vaisseaux. La grande importance qu’il attachait à la marine venait sans doute de ce qu’il avait reconnu que l’armée du roi avait l’accès plus facile par mer que par terre. A ses yeux, le Pirée était plus essentiel que la ville haute; souvent il conseillait aux Athéniens, s’ils venaient à être pressés sur terre, de descendre au Pirée et de s’y défendre sur leurs navires envers et contre tous. Ce fut ainsi que les Athéniens élevèrent leurs remparts et les autres constructions, immédiatement après la retraite des Mèdes. Cependant Pausanias, fils de Cléombrotos, avait été •envoyé de Lacédémone, avec vingt vaisseaux du Péloponèse, en qualité de général des Grecs. Cette armée, renforcée de trente vaisseaux athéniens et d’une foule d’alliés, se porta d’abord contre l’île de Cypre, qu’elle soumit en grande partie ; de là, toujours sous le même commandement, elle alla attaquer Byzance, que les Mèdes occupaient, et qu’elle prit à la suite d’un siège. Mais le caractère altier de Pausanias ne tarda pas à indisposer les Grecs, surtout les Ioniens et tous ceux qui s’étaient récemment soustraits à la domination du roi. Ils s’adressèrent donc aux Athéniens et les prièrent, en vertu de leur commune origine, de se placer à leur tête et de les protéger au besoin contre les violences de Pausanias. Les Athéniens accueillirent cette demande et s’occupèrent de prendre les mesures les plus convenables pour être en état d’y satisfaire. Sur ces entrefaites, les Lacédémoniens rappelèrent Pausanias pour lui faire son procès à l’occasion des faits dont ils avaient été informés. Les Grecs qui arrivaient à Lacédémone étaient unanimes à l’accuser, et son généralat ressemblait fort à la tyrannie . Il fut précisément rappelé au moment où les alliés, sauf les troupes du Péloponèse, passaient sous les ordres des Athéniens. De retour à Lacédémone, il fut condamné sur quelques chefs particuliers, mais absous des accusations les plus graves; on l’accusait surtout de médisme Attachement au parti des Mèdes, crime de haute-trahison. Voyez I, cxxxv; III, Lxn, lxiv. , et le reproche paraissait fondé. On lui retira donc le commandement ; on fit partir à sa place, avec peu de monde, Dorcis et d’autres, dont les alliés déclinèrent l’autorité. Ces chefs aussitôt se retirèrent; dès lors les Lacédémoniens n’en envoyèrent plus. L’exemple de Pausanias leur faisait craindre qu’ils ne se pervertissent en sortant du pays ; d’ailleurs ils étaient las de la guerre Médique; ils se reposaient sur les Athéniens du soin de la conduire, car en ce moment les deux peuples étaient amis. Ainsi investis du commandement par l’adhésion spontanée des alliés, auxquels Pausanias s'était rendu odieux, les Athéniens déterminèrent quelles villes auraient à fournir de l'argent ou des vaisseaux pour la continuation de la guerre contre les Barbares. Le prétexte fut de ravager le pays du roi par droit de représailles. De cette époque date chez les Athéniens l'institution des Hellénotames Trésoriers des Grecs. Ces magistrats athéniens, probablement au nombre de dix, étaient chargés de recevoir le tribut que les alliés apportaient à Athènes à l’époque des fêtes de Bacchus. Le trésor commun ne resta pas longtemps à Délos ; les Athéniens le transportèrent à Athènes, et en disposèrent comme d'un reverrti. Les assemblées de Délos cessèrent pareillement. , magistrats chargés de recevoir le tribut, car tel fut le nom donné à cette contribution. Ce tribut fut fixé dans Γ origine à quatre cent soixante talents Environ deux millions cinq cent mille francs. Au commencement de la guerre du Péloponèse, la somme était de six cents talents (II, xm), parce que les défections successives avaient été punies par une aggravation de tribut. . Le trésor fut déposé à Délos, et les assemblées se tinrent dans le temple. Placés à la tête d'alliés originairement indépendants et ayant droit de suffrage dans des assemblées générales, les Athéniens étendirent peu à peu leur domination, soit par les armes, soit par des mesures administratives, dans l’intervalle compris entre la guerre Médique et celle-ci. Ils eurent tour à tour à combattre les Barbares, leurs propres alliés révoltés, et enfin les Péloponésiens, qu’ils rencontraient dans tous leurs différends. A ce propos je me suis permis une digression, parce que tous mes devanciers ont laissé cette période dans l’ombre, et se sont bornés à raconter Thistoire de la Grèce avant ou pendant les guerres Médiques. Le seul qui ait abordé ce sujet, Hellanicos, dans son histoire d’Athènes Hellanicos, ancien historien grec, né à Myti-lène dans l’île de Lesbos. Il est classé parmi les logographes et doit être antérieur à Hérodote. Les ouvrages attribués à Hellanicos, et dont nous ne possédons guère que les titres, sont fort nombreux. Son histoire d’Athènes (’AriKç), dont il est ici question, était divisée en quatre livres, et remontait jusqu’aux temps fabuleux. , n’a fait que l'effleurer, sans indiquer exactement la chronologie. D’ailleurs cet exposé achèvera de faire connaître comment s'établit l’empire des Athéniens. D’abord, sous la conduite de Cimon, fils de Miltiade, ils assiégèrent et prirent sur les Mèdes la ville d'Éïon, à l’embouchure du Strymon. Les habitants furent vendus comme esclaves. Ensuite ils firent subir le même traitement à la population de Scyros, île de la mer Égée, habitée par des Dolopes, et qu'ils repeuplèrent par une colonie d’Athéniens L'île de Scyros est voisine de la Thessalie. Ses habitants exerçaient la piraterie. Ils furent condamnés par les Àm-phictyons pour avoir capturé des vaisseaux qui se rendaient à Delphes. Les Athéniens furent chargés de l'exécution de la sentence. De la dlme du butin fait à Scyros, ils élevèrent à Athènes le célèbre temple de Thésée, Cimon ayant soi-disant retrouvé dans l’île les ossements de ce héros. . Ils soutinrent aussi contre les Carystiens Carystos, ville située sur la côte méridionale de l'Eubée, au pied du mont Ocha. Le reste de nie était tributaire des Athéniens. une guerre, à laquelle le reste del’Eubée demeura étranger· et qui se termina par un accommodement. Après cela, les Naxiens se révoltèrent ; mais ils furent attaqués, assiégés et soumis. Ce fut la première ville alliée qui fut privée de la liberté, contrairement au droit établi ; plus tard les autres éprouvèrent successivement le même sort. Les défections provenaient de plusieurs causes, en particulier de la difficulté qu’éprouvaient la plupart des alliés à fournir régulièrement l’argent, les vaisseaux et même les hommes. Les Athéniens usaient de rigueur, et se faisaient haïr en employant la contrainte envers des gens qui n’avaient ni l’habitude ni la volonté d’endurer les fatigues de la guerre Sur la répugnance des Ioniens pour le service militaire, voyez Hérodote, VI, xii. . Leur commandement avait cessé d’être accepté avec plaisir; dans les expéditions communes, ils ne traitaient plus les alliés en égaux, et il leur était facile de réprimer les rébellions. La faute en était aux alliés eux-mêmes ; la plupart, dans leur répugnance à porter les armes et à s’éloigner de leurs foyers, s’étaient imposé, en place des vaisseaux à fournir, une somme d’argent équivalente Ainsi la marine athénienne s’accroissait avec les fonds fourn s parles alliés; et lorsque ceux-ci venaient à se révolter, ils se trouvaient engagés dans la guerre sans avoir ni l’expérience ni les forces nécessaires pour la soutenir. Ce fut après ces événements que les Athéniens et leurs alliés livrèrent un combat sur terre et un combat naval contre les Mèdes à l’embouchure du fleuve Eurymédon en Pamphylie. Les Athéniens, commandés par Gimon, fils de Miltiade, remportèrent dans le même jour une double victoire. Ils prirent ou détruisirent les trirèmes phéniciennes au nombre de deux cents. Quelque temps après eut lieu la défection des Thasiens, occasionnée par un différend au sujet des comptoirs et des mines qu’ils possédaient sur la côte de Thrace, située en face de leur île Ce sont les fameuses mines d'or et d'argent du mont Pangée, dans la Thrace méridionale, entre les fleuves Strymon et Nestos. Ces mines avaient été découvertes par les Phéniciens; puis les Grecs les avaient exploitées ; enfin elles tombèrent entre les mains de Philippe de Macédoine, qui en tira un revenu considérable, et bâtit dans le voisinage la ville de Philippes. . Les Athéniens dirigèrent une flotte contre Thasos, furent vainqueurs sur mer et opérèrent un débarquement. Vers la même époque, ils envoyèrent dix mille colons, Athéniens et alliés, pour s’établir sur le bord du Strymon, à l’endroit alors appelé les Neuf-Voies et maintenant Amphipolis Amphipolis était situé à l'endroit où le Strymon sort du lac Cer-cinitis, à deux lieues de la mer. Aristagoras de Milet avait essayé d'y établir une colonie; mais elle avait été détruite par les Édoniens (Hérodote, V, cxxiv, ofi l’endroit est nommé Myrcinos). Attirés par les avantages de cette position, les Athéniens renouvelèrent deux fois la même entreprise, d’abord sans succès; mais enfin, en 437 av. 3. C., sous -la conduite d'Hagnon, ils triomphèrent de la résistance des Thraces, et fondèrent définitivement la ville d'Amphipolis. Voyez liv. IV, ch. en. . Ils s’emparèrent des Neuf-Voies sur les Édoniens; mais s’étant avancés dans l’intérieur des terres, ils furent taillés en pièces àDrabescos dans TÉdonie par les forces réunies des Thraces, qui voyaient de mauvais œil l’établissement formé aux Neuf-Voies. Cependant les Thasiens, vaincus en plusieurs rencontres et assiégés, eurent recours aux Lacédémoniens, et les prièrent de faire en leur faveur une diversion en Àttique. Ceux-ci leur en firent la promesse secrète, et ils auraient tenu parole, sans le tremblement de terre Ce tremblement de terre eut lieu en 465 av. J. C. 11 renversa toute la ville de Sparte, excepté cinq maisons, et fit périr vingt mille personnes. Voyez Inodore de Sicile, IX, lxiii; Plutarque, Cimon, xvi; Pausanias, IV, χχιν; VII, xxv. dont les Hilotes et quelques-uns des Périèques Les périèques de Laconie étaient les anciens habitants du pays, Achéens d’origine, qui furent soumis à une sorte de vasselage par les conquérants doriens. A la suite d'une révolte, un grand nombre d'entre eux furent réduits à la condition d’Hilotes ou d'esclaves publics. , tels que les Thuriates et les Êthéens, prirent occasion pour s’insurger et se retirer sur le mont Ithome. La plupart de ces Hilotes descendaient des anciens Messéniens asservis dans le temps Du temps de Thucydide, la Messénie était, depuis près de trois siècles, incorporée à la Laconie, et avait perdu son nom. Ethéa était en Laconie, Thuria en Messénie, à l’embouchure du Pamisos. Ithome est la célébré montagne qui, dans la première guerre de Messénie, avait servi de citadelle aux Messéniens. ; c’est ce qui fit donner à tous les révoltés le nom de Messéniens. Ainsi les Lacédémoniens eurent une guerre à soutenir centre les révoltés d’Ithome. Pour les Thasiens, après trois ans de siège, ils capitulèrent avec les Athéniens, à condition de raser leurs murailles, de livrer leurs vaisseaux, de s’imposer une contribution immédiate et de payer régulièrement leur tribut à l’avenir, enfin d’abandonner leurs mines et toutes leurs possessions du continent. Les Lacédémoniens, voyant se prolonger la guerre contre les insurgés d’Ithome, réclamèrent l’assistance de leurs alliés et notamment des Athéniens; ceux-ci vinrent en grand nombre sous la conduite de Cimon. Ce qui les avait fait appeler, c’était leur réputation d’habileté dans la tactique obsidionale. Mais comme, malgré leur présence, le siège n’avançait pas, cette habileté parut en défaut; avec plus de vigueur, ils auraient dit emporter la place. C’est à 'la suite de cette campagne que les Lacédémoniens et les Athéniens commencèrent à se brouiller ouvertement. Le siège traînant en longueur, les Lacédémoniens appréhendèrent la turbulence et l’audace des Athéniens, qu’ils regardaient d’ailleurs comme d’une race étrangère ; ils craignirent qu’en restant devant Ithome, ils ne finissent par prêter l’oreille aux suggestions des assiégés et par opérer quelque révolution. Aussi les congédièrent-ils seuls de leurs alliés, sous prétexte qu’ils n’avaient plus besoin d’eux, sans toutefois leur témoigner aucune défiance. Les Athéniens sentirent qu’on les renvoyait sans leur donner le véritable motif, et que l’on avait conçu contre eux quelque soupçon. Indignés de cette, offense gratuite, à peine furent-ils de retour dans leurs foyers que, brisant l’alliance conclue avec Lacédémone contre les Mèdes, ils se liguèrent avec les Argiens ses ennemis. Les deux peuples s’unirent également aux Thessaliens par des serments et par une convention. Après dix ans de siège, les révoltés d’Ithome, réduit aux abois, capitulèrent avec les Lacédémoniens. Ils s’engagèrent, sous la foi d’un traité, à sortir du Péloponèse et à n’y jamais rentrer, sous peine pour celui qui serait pris de devenir l’esclave de quiconque le saisirait. Précédemment il était venu de Delphes un oracle ordonnant aux Lacédémoniens de laisser aller le suppliant de Jupiter Ithomatas Le sommet du mont Ithome, de même que celui de toutes les hautes montagnes de la Grèce, était consacré à Jupiter. Ce dieu y avait un autel entouré d'une encéinte en pierres brutes. Voyez Pausanias, ΠΙ, χχνι ; IV, v. . Ils sortirent donc avec leurs enfants et leurs femmes. Les Athéniens, en haine des La. cédémoniens, accueillirent ces fugitifs, et leur cédèrent la ville de Naupacte, qu’ils avaient prise depuis peu sur les Locriens-Ozoles. Les Mégariens entrèrent aussi dans l’alliance d’Athènes et se détachèrent de Lacédémone, à cause de la guerre que leur fais saient les Corinthiens pour des limites territoriales. Ainsi les Athéniens devinrent maîtres de Mégare et de Pagæ Place maritime, appartenant à la Mégaride, et située au N. de ce pays, sur le golfe de Corinthe. Elle occupait un passage menant en Béotie. ; ils construisirent pour les Mégariens les longs murs qui vont de la ville à Niséa Port de Mégare, à 18 stades de cette ville et sur le golfe Saro-nique. Voyez liv. III, ch. u, note 3. , et en prirent eux-mêmes la garde. Ce fut le principal motif de la haine implacable des Corinthiens contre les Athéniens. Sur ces entrefaites, le Libyen Inaros, fils de Psammi-tichos et roi des Libyens qui confinent à l’Égypte, parti de Maréa, ville située au-dessus de Pharos Petite île située sur la côte d’Égypte et célèbre par son fanal. Alexandre la relia au continent par une chaussée de 7 stades pour former le port d’Alexandrie. — Maréa était une ville de la baàse Égypte, à l’extrémité N. O. près de la bouche Canopique et du lac Maréotis, qui lui doit son nom. , souleva contre' le roi Artaxerxès la majeure partie de l’Égypte; et, devenu souverain de cette contrée, il appela les Athéniens. Ceux-ci se trouvaient alors en Cypre avec deux cents vaisseaux d’Athènes et des alliés. Ils quittèrent cette île pour se rendrè à l’invitation d’Inaros, remontèrent le Nil, et, maîtres de ce fleuve ainsi qu£ des deux tiers de Memphis, ils attaquèrent le troisième quartier, nommé le Mur Blanc Quartier de Memphis, ainsi appelé, dit le scholiaste, parce qu’il était construit en pierres de taille, tandis que le reste des murailles de Memphis était en briques rouges. Le Mur-Blanc servait de citadelle à la garnison que les Perses tenaient à Memphis. , où s’étaient retirés les Perses, les Mèdes et les Égyptiens qui n’avaient pas pris part à la révolte. Les Athéniens, ayant fait une descente sur le territoire des Haliens District situé au S. de 1’Argolide, entre la ville d’Hermione et le promontoire Scylléon. , furent battus par les Corinthiens et les Épidau-riens ; mais plus tard ils remportèrent une victoire navale près de Cécryphalée Petite île du golfe Saronique, entre Égine et Êpidaure (aujourd’hui Angistri). sur les Péloponésiens et leurs alliés. Ensuite il s’éleva une guerre entre les Athéniens et les Éginètes. Ces deux peuples, assistés de leurs alliés, se livrèrent un grand combat naval devant Égine. Les Athéniens, commandés par Léocratès, fils de Strébos, furent vainqueurs, prirent soixante-dix vaisseaux, descendirent à terre et firent le siège de la ville. Les Péloponésiens, voulant secourir les Éginètes, leur firent passer trois cents hoplites, qui avaient servi comme auxiliaires des Épidauriens et des Corinthiens. En même temps, les Corinthiens occupèrent les hauteurs de la Géranie La Géranie, montagne faisant partie de la chaîne des monts Onéens, qui traversent l’isthme de Corinthe dans toute sa largeur en Mégaride. De Corinthe à Mégare il y a deux chemins, presque aussi mauvais l’un que l’autre : le premier traverse les défilés de la Géranie au centre de l’isthme, en passant par le village de Tripodiscos (aujourd’hui Dervenia) : c’était la route militaire ; le second n’est qu’un étroit sentier le long des roches Scironiennes, au bord du golfe Saronique (aujourd’hui Kaki Skala). et descendirent en Mégaride avec leurs alliés ; ils s’imaginaient que les Athéniens, dont les troupes étaient en partie à Égine, en partie en Égypte, seraient dans l’impossibilité de secourir Mégare, ou que du moins ils lèveraient le siège d’Égine. Les Athéniens ne rappelèrent point leur armée d’Égine; mais les vieillards et les jeunes gens restés dans la ville se portèrent à Mégare, sous la conduite de Myronidès. La bataille qu’ils livrèrent aux Corinthiens fut indécise, et les deux partis se séparèrent, sans que ni l’un ni l’autre s’estimât vaincu. Les Athéniens, qui avaient eu plutôt l’avantage, dressèrent un trophée après la retraite des Corinthiens. Ceux-ci, taxés de lâcheté par leurs vieillards restés à Corinthe, se préparèrent pendant douze jours ; après quoi ils revinrent et se mirent, comme vainqueurs, à ériger un trophée en face de celui des Athéniens; mais ceux-ci accoururent de Mégare, massacrèrent ceux qui élevaient le trophée, en vinrent aux mains avec les autres et les mirent en fuite. Les Corinthiens vaincus se retiraient ; un corps assez considérable d’entre eux, serré de près, manqua la route et alla donner dans une propriété particulière, entourée d’un grand fossé et sans issue. Les Athéniens s’en aperçurent, bloquèrent l’entrée avec leurs hoplites, répandirent à l’entour leurs troupes légères, et tuèrent à coups de pierres tous ceux qui s’y étaient engagés. Ce fut pour les Corinthiens une perte très-sensible. Le gros de leur armée regagna ses foyers. Vers la même époque, les Athéniens commencèrent la construction des longs murs qui vont de la ville à la mer, l’un aboutissant au Phalère, l’autre au Pirée. Les Phocéens avaient fait une expédition dans la Doride Canton montueux, situé au N. de la Phocide et au S. du mont Œta. C’est de là que les Doriens étaient anciennement partis pour marcher à la conquête du Péloponèse. 11 renfermait quatre villes, d’où lui venait le nom de Tétrapnle dorienne. La quatrième, que Thucydide ne nomme pas, était Pindos. , mère-patrie des Lacédémoniens, contre Bœon, Cytinion et Ërinéos,etpris une de ces bourgades. Les Lacédémoniens, sus la conduite de Nicomédès, fils de Cléombrotos, tuteur du jeune roi Plistoanax , fils de Pausanias, marchèrent au secours des Doriens avec quinze cents de leurs hoplites et dix mille alliés. Ils forcèrent les Phocéens à rendre par capitulation la ville qu’ils avaient prise ; après quoi ils se disposèrent à la retraite ; mais ils ne savaient comment l'effectuer. Par mer, à travers le golfe de Crisa C’est ainsi que l’auteur appelle toujours le golfe de Corinthe. Crisa était une petite ville maritime, située au S. de Delphes. Les Athéniens tenaient en tout temps une croisière à Naupacte. , cela n’était guère possible; car la flotte athénienne, en croisière dans ces parages, ne manquerait pas de s’y opposer ; par la Géranie, le danger ne leur paraissait pas moindre, les Athéniens étant maîtres de Mégare et de Pagæ; en effet, la route de la Géranie est difficile, et elle était soigneusement gardée par les Athéniens, qu’on savait décidés à refuser le passage. Ils résolurent donc d’attendre en Béotie une occasion favorable. Ajoutez à cela qu’ils étaient sollicités sous main par quelques citoyens d’Athènes, qui espéraient abolir la démocratie et arrêter la construction des longs murs L’aristocratie athénienne, qui s’appuyait sur les Péloponésiens, avait intérêt à ce que ceux-ci pussent, dans un moment donné, investir Athènes et la séparer de la mer. La construction des longs murs avait précisément pour but de leur ôter cette possibilité. . Les Athéniens, voyant leur embarras et soupçonnant leurs intentions hostiles à la démocratie, se levèrent en masse et marchèrent contre eux avec mille Argiens et les contingents des autres alliés, en tout quatorze mille hommes. Il vint aussi, en vertu du traité, un corps de cavalerie thessalienne, qui pendant l’action passa aux Lacédémoniens. La rencontre eut lieu à Tanagra en Béotie ; elle fut sanglante ; les Lacédémoniens et leurs alliés eurent le dessus. À la suite de cette victoire, les Lacédémoniens entrèrent en Mégaride, abattirent les arbres, et s’en retournèrent chez eux par la Géranie et par l'Isthme. Soixante-deux jours après cette bataille, les Athéniens, commandés par Myronidès, marchèrent contre les Béotiens, les défirent aux OEnophytes Ville de Béotie, située entre Oropos et Tanagra, sur la rive gauche de l’Asopos. , et devinrent maîtres de la Béotie, ainsi que de la Phocide. Ils démantelèrent Tanagra, prirent pour otages- cent des plus riches Locriens-Opontiens, et achevèrent à Athènes la construction des longs murs. Les Éginètes capitulèrent aussi avec les Athéniens ; ils rasèrent leurs murailles, livrèrent leurs vaisseaux et s’imposèrent un tribut pour l’avenir.v Les Athéniens, sous les ordres de Tolmidès,fils de Tolméos, firent avec leur flotte le tour du Péloponèse ; ils brûlèrent le chantier des Lacédémoniens Gythion, au fônd du golffe de Laconie. Cette place était le port militaire des Lacédémoniens. Elle avait un bassin creusé de main d’homme, des arsenaux et une citadelle. , prirent sur les Corinthiens la ville de Chalcis il ne s’agit pas de Chalcis en Eubée, place appartenant depuis longtemps aux Athéniens; mais d’une autre ville du même nom, située en Êtolie, à l’embouchure de FÉvénos (II, lxxxiti). , et, dans une descente, battirent les Sicyoniens. Cependant ceux des Athéniens et de leurs alliés qui étaient en Égypte s’y maintenaient encore ; mais cette guerre fut mêlée pour eux de chances diverses. D’abord ils avaient été les maîtres du pays, si bien que le roi Artaxerxès avait envoyé à Lacédémone le Perse Mégabaze avec de l’argent, pour engager les Péloponésiens à faire invasion dans l’Attique, et forcer ainsi les Athéniens à .évacuer l’Égypte. Mais, comme l’affaire n’avançait pas et que les fonds se dépensaient en pure perte, Mégabaze s’en retourna en Asie avec le reste de son argent. Alors le roi envoya en Égypte le Perse Mégabyze, fils de Zopyre, avec une grande armée. Celui-ci arriva par terre, défit en bataille les Égyptiens et leurs alliés, chassa de Memphis les Grecs, et finit par les enfermer dans l’île de Prosopitis Ile continentale, faisant partie du Delta, et mentionnée par Hérodote (II, xli). Elle était probablement comprise entre les bouches Canopique et Sébennytique et un canal que les Perses desséchèrent. Ce dernier devait suivre à peu près la direction du canal actuel de Mahmoud. , où il les tint assiégés pendant dix-huit mois, jusqu’à ce qu’ayant vidé le canal et détourné l'eau,Nil mit les vaisseaux à sec, changea en terre ferme la majeure partie dç l’île, y passa à pied et s’en rendit maître. Ainsi furent ruinées les affaires des Grecs, après six ans de guerre. Les faibles restes de cette nombreuse armée se sauvèrent à Cyrène à travers la Libye : la plupart des soldats périrent, et l’Égypte retomba sous la domination du roi, à l’exception des marais où régnait Amyrtée. Celui-ci échappa à toutes les poursuites, grâce à la vaste étendue de ces marais et au courage des habitants, les plus belliqueux des Égyptiens. Pour Inaros, ce roi des Libyens, l’instigateur des troubles de l’Égypte, il fut pris par trahison et empalé. Cependant cinquante trirèmes d’Athènes et des alliés» envoyées en Égypte pour relever les premières, abordèrent à la bouche Mendésienne, sans rien savoir de ce qui s’était passé. Assaillies simultanémeot par dés troupes de terre et par la flotte phénicienne, elles furent détruites pour la plupart ; il n’en échappa qu’un petit nombre. Telle fut la fin de la grande expédition d’Égypte, entreprise par les Athéniens et par leurs alliés. Vers là même époque, Oreste fils d’Échécratidas, chassé de la Thessalie dont il était roi LaThessalie ne formait point un royaume unique, mais chaque ville avait son gouvernement particulier. Oreste ne devait donc être roi que de Pharsale. Hérodote (VIII, Lxm) qualifie également de rois de Thessalie les Alévades de Larisse. , persuada aux Athéniens de l’y rétablir. Ceux-ci, prenant avec eux leurs alliés de Béotie et de Phocide, marchèrent contre Pharsale en Thessalie; mais, contenus par la cavalerie thessalienne, ils ne purent se rendre maîtres que du terrain qu’ils occupaient, sans s’éloigner de leur camp. Ils ne prirent point la ville ; et, voyant s’évanouir tous leurs projets, ils s’en retournèrent comme ils étaient venus, et ramenèrent Oreste avec eux. Peu de temps après, mille Athéniens s’embarquèrent à Pa-gæ, place qui leur appartenait alors, et suivirent la côte jusqu’à Sicyone, sous la conduite de Périclès fils de Xanthippos. Ils descendirent à terre, défirent ceux des Sicyonieus qui voulurent leur résister ; puis, prenant un renfort d’Acbéens, ils passèrent sut la rive opposée et allèrent assiéger OEni^des en Acarnanie Ville maritime d’Acarnanie, à l’embouchure de l’Âchéloos. Elle était indépendante et fréquemment en guerre avec les Achéens, en faveur desquels les Athéniens paraissent avoir fait cette expédition. ; mais ils ne réussirent pàs à s’en emparer, et revinrent à Athènes. Trois ans après ces événements L’an 450 av. J. C. , une trêve de cinq années fut conclue entre les Péloponésiens et les Athéniens. Ceux-ci, se trouvant en paix avec les Grecs, portèrent leurs armes en Cypre, avec deux cents vaisseaux d’Athènes et des alliés, sous le commandement de Cimon. Soixante bâtiments furent détachés de cette flotte pour aller en Égypte, à la demande d’Amyrtée, roi des marais. Le reste assiégea Cition ; mais la mort de Cimon et la famine qui survint forcèrent les Athéniens à lever le siége. En passant à la hauteur de Salamine en Cypre, ils eurent à combattre sur mer et sur terre les Phéniciens et les Ciliciens. Vainqueurs dans ces deux rencontres, ils regagnèrent leurs foyers. Les vaisseaux envoyés en Égypte rentrèrent également. Les Lacédémoniens firent ensuite la guerre dite sacrée. Maîtres du temple de Delphes, ils le remirent aux Delphiens ; mais, après leur retraite, une armée athénienne s’en empara de nouveau et le rendit aux Phocéens La haute surveillance de l’oracle de Delphes appartenait aux Amphictyons; mais, dans l’intervalle des sessions de cette assemblée, l’administration des affaires courantes, la justice criminelle et la garde du temple étaient du ressort du gouvernement local. Les Delphiens avaient un régime oligarchique, en harmonie avec celui de Lacédémone, tandis que les Phocéens, alors alliés d’Athènes, se gouvernaient démocratiquement. La ville de Delphes, bien que comprise dans les limites générales de la Phocide, était indépendante des autres cités phocéennes, et faisait bande à part. . A quelque temps de là, eut lieu l’expédition des Athé niens en Béotie. Les exilés béotiens occupaient Orchomène, Chéronée et d'autres places de ce pays. Les Athéniens, avec mille de leurs hoplites et les contingents des alliés, marchèrent contre ces villes ennemies, sous la conduite de Tolmidès, fils de Tolméos. Ils prirent Chéronée, y mirent garnison et se retirèrent. Ils étaient en chemin et sur le territoire de Coronée, lorsque les exilés béotiens d’Orchomène, soutenus par des Locriens, par des réfugiés eubéens et par tous ceux qui étaient de la même opinion C’est-à-dire de l’opinion aristocratique, la présence des Athéniens ayant momentanément donné gain de cause au parti populaire, et occasionné l’exil des hommes les plus marquants du parti opposé. , les attaquèrent, les mirent en fuite, les tuèrent ou les prirent. Pour obtenir qu’on leur rendît leurs prisonniers, les Athéniens firent la paix et s’engagèrent à évacuer la Béotie. Les exilés béotiens rentrèrent donc chez eux, et le pays recouvra son indépendance. Peu de temps après, l’Eubée se souleva contre les Athéniens Cette révolte, ainsi que celle de Mégare, fut une conséquence naturelle de la perte de la Béotie par les Athéniens. . Déjà Périclès y avait conduit une armée athénienne, lorsqu’il apprit que Mégare était révoltée, que les Péloponé-siens menaçaient l’Attique, enfin que la garnison athénienne avait été massacrée par les Mégariens, excepté ce qui avait pu se réfugier à Niséa. Les Mégariens ne s’étaient portés à la révolte qu’après s’être assuré l’appui de Corinthe, de Sicyone et d'fî-pidaure. Périclès se hâta de ramener ses troupes de l’Eubée. Les Péloponésiens, commandés par Plistoanax, fils de Pausanias et roi de Lacédémone, envahirent l’Attique ; ils s’avancèrent jusqu’à Eleusis et à la plaine de Thria, qu’ils ravagèrent; mais ils ne poussèrent pas plus loin et opérèrent leur retraite. Alors les Athéniens, conduits par Périclès, repassèrent dans l’Eubée et la soumirent en entier. Ils reçurent à composition la plupart des villes; mais ils expulsèrent les Hestiéens Hestiéa ou Histiéa était une ville du N. de l’Eubée, dans un canton extrêmement fertile. Depuis que les Athéniens s’en furent emparés, en y établissant une colonie de deux mille de leurs concitoyens, elle prit le nom d’Oréos qu’elle a toujours conservé. , dont ils confisquèrent le territoire C’est-à-dire qu’ils se mirent en possession de leurs terres, et les partagèrent au sort entre des colons athéniens. Cette espèce de colonisation s’appelait κληρουχία et les colons κληροῦχοι . Voyez II, xxvn; III, L, note 1. . Immédiatement après leur retour d’Eubée, ils firent avec les Lacédémoniens et leurs alliés une paix de trente ans L’an 445 av. J. C. . Ils rendirent les portions du Péloponèse qu’ils occupaient, savoir Niséa, Pagæ, Trézène et l’Achaïe On a vu au chap. III que les Achéens étaient alliés des Athéniens; mais, pour ce qui est de Trézène, Thucydide ni aucun autre auteur ne dit à quelle occasion elle était entrée dans l’alliance d’Athènes. La môme énumération se lit au liv. IV, ch. xxi. . Six ans plus tard, il s’éleva entre Samos et Milet une guerre au sujet de Priène. Les Milésiens, qui avaient le dessous, vinrent à Athènes, jetant feu et flammes contre les Samiens. Ils étaiçnt secondés par quelques particuliers de Samos qui désiraient une révolution. En conséquence les Athéniens firent voile pour Samos avec quarante vaisseaux et y établirent la démocratie ; ils prirent pour otages cinquante enfants et autant d’hommes qu’ils déposèrent à Lemnos, mirent garnison à Samos et se retirèrent. Alors un certain nombre de Samiens, qui avaient émigré sur le continent, se liguèrent avec les plus puissants de la ville et avec Pissouthnès fils d’Hystaspe, gouverneur de Sardes; ils réunirent sept cents auxiliaires et passèrent de nuit à Samos. D’abord ils se mirent en insurrection contre le parti démocratique, dont ils triomphèrent presque entièrement ; ensuite ils enlevèrent de Lemnos leurs otages et se déclarèrent en état de révolte. Ils livrèrent à Pissouthnès la garnison athénienne, ainsi que les fonctionnaires établis dans leur ville Apparemment des employés civils que les Athéniens avaient placés à Sames. , et préparèrent aussitôt une expédition contre Milet. La ville de Byzance était complice de cette défection. A cette nouvelle, les Athéniens firent voile pour Samos avec soixante vaisseaux ; ils en détachèrent seize, les uns vers la Carie pour observer la flotte phénicienne, les autres vers Chios et Lesbos pour demander du seceurs. Ce fut donc avec quarante-quatre vaisseaux que les Athéniens, commandés par Périclès et neuf autres généraux, livrèrent bataille devant l’île de Tragie Petite île au sud de Samos et à l’entrée du grand golfe dé Milet. à soixante-dix vaisseaux samiens, dont vingt portaient des soldats Bâtiments de transport, appropriés à l’embarquement des troupes de terre, comme on en avait aussi pour le transport des chevaux. C’était sans doute l’armée expéditionnaire dirigée par les Samiens contre Milet. . Toute cette flotte revenait de 'Milet. Les Athéniens furent vainqueurs. Ayant ensuite reçu un renfort de quarante vaisseaux athéniens et de vingt-cinq de Chios ou de Lesbos, ils descendirent à terre ; et, après un nouvel avantage, ils cernèrent la ville au moyen de trois murs Cela doit s’entendre de trois forts élevés contre les trois côtés de la ville qui regardent la terre, et non d’une muraille triple, qui eût été sans objet. en même temps qu’ils la bloquaient par mer. Sur l’avis que là flotte phénicienne approchait, Périclès détacha de la croisière soixante vaisseaux, avec lesquels il se porta rapidement vers Caunos et la Carie ; il savait que Stésagoras et d’autres Samiens étaient partis avec cinq vaisseaux pour la même destination. Sur ces entrefaites, les Samiens, étant sortis du port à l’improviste, fondirent sur la croisière athénienne que rien ne protégeait La flotte athénienne n’était protégée par aucune estacade, comme on avait coutume d’en planter devant les stations maritimes pour les mettre à l’abri d’un coup de main. , et, après avoir détruit les vaisseaux de garde, ils défirent le reste de la flotte qui vint au-devant d’eux. Durant quatorze jours, ils furent les maîtres de la mer qui les avoisine, et ils en profitèrent pour faire entrer et sortir tout ce qu’ils voulurent; mais au retour de Périclès, ils furent de nouveau bloqués par la flotte. Ensuite il arriva d’Athènes quarante vaisseaux de renfort, commandés par Thucydide H ne s’agit pas ici de l’historien, qui a soin de se désigner plus exactement lui-même, lorsqu’il figure comme général, et qui d’ailleurs eût été beaucoup trop jeune pour commander alors. Peut-être indique-t-il Thucydide fils de Mélésias, le célèbre adversaire de Périclès. , Hagnon et Phor-mion, vingt autres commandés par Tlépolémos et Anticlès,enfin trente de Chios et de Lesbos. Les Samiens essayèrent encore d’une courte action navale ; mais sentant l’impossibilité de tenir davantage, ils se rendirent après un siège de neuf mois. Ils convinrent de raser leur muraille, de donner des otages, de livrer leurs vaisseàux et de rembourser les frais de la guerre à des époques déterminées. Les Byzantins capitulèrent de même, à condition de demeurer tributaires comme auparavant. Peu d’années s’écoulèrent ensuite jusqu’aux événements que j’ai racontés plus haut, savoir l’affaire de Corcyre, ; celle de Potidée, et tout ce qui servit d’avant-coureur à la guerre actuelle. Cette lutte des Grecs, soit entre eux soit avec les Barbares, occupa une période de cinquante ans, à dater de la retraite de Xerxès jusqu’au commencement de la guerre du Péloponèse A la rigueur, il ne s’écoula que quarante-neuf ans entré la fuite de Xerxès, 480, et le commencement de la guerre du Péloponèse, 331 av. J. C. Mais d’une date à une autre, les Grecs avaient coutume de compter le point de départ et celui d’arrivée. Il n’y a donc rien à changer ni à l’expression ni à la chronologie. . Durant cet intervalle, les Athéniens affermirent leur domination et parvinrent au plus haut degré de puissance. Les Lacédémoniens le virent et ne s’y opposèrent pas ; à pârt quelques efforts passagers, ils se tinrent généralement dans l’inaction. Toujours lents à prendre les armes, à moins d’y être forcés, ils étaient d’ailleurs entravés par des guerres intestines; mais enfin les progrès incessants de la puissance athénienne, qui déjà touchait à leurs alliés, les poussèrent à bout ; ils crurent qu’il fallait réunir toutes leurs forces, afin de renverser, s’il se pouvait, cet empire, et ils se résolurent à la guerre. Les Lacédémoniens eux-mêmes avaient déjà décidé qu'ils regardaient la paix comme rompue et les Athéniens comme coupables. Ils avaient envoyé à l’oracle de Delphes pour demander si l’issue de cette guerre leur serait favorable. Le dieu leur avait répondu, à ce qu’on prétend, que s’ils combattaient à outrance, ils auraient la victoire, et que lui-même les seconderait, qu’ils l’en priassent ou non. Us résolurent de convoquer une seconde fois leurs alliés et de les consulter sur l’opportunité de la guerre. Les députés des villes alliées étant donc réunis et l’assemblée constituée, chacun d’eux énonça son avis. La plupart se plaignirent des Athéniens et se prononcèrent pour la guerre. Les Corinthiens n’avaient pas attendu jusqu’alors pour solliciter chaque État en particulier de voter dans ce sens, à cause des craintes qu’ils avaient au sujet de Potidée ; en cette occasion ils s’avancèrent les derniers et s’exprimèrent ainsi : « Nous ne pouvons plus reprocher aux Lacédémoniens de n’avoir pas eux-mêmes décrété la guerre, puisqu’ils nous ont rassemblés dans ce but. Tel est le devoir d’une nation qui jouit do la suprématie. Tout en respectant chez elle l’égalité, il faut qu’elle soit la première à veiller pour les intérêts communs, de même qu’elle est la première à recevoir tous les hommages. « Ceux d’entre nous qui ont eu quelque démêlé avec les Athéniens n’ont pas besoin d’avertissement pour se tenir en garde contre eux. Quant à ceux qui habitent dans l’intérieur et loin des communications maritimes, ils peuvent être certains que, s’ils ne soutiennent pas les habitants des côtes, ils rencontreront plus de difficultés, soit pour l’exportation de leurs denrées, soit pour l’échange des produits que la mer fournit au continent. Ils jugeraient donc, bien mal de la question proposée, s’ils croyaient qu’elle ne les intéresse pas; ils doivent songer que, s’ils abandonnent les villes maritimes, le danger s’étendra jusqu’à eux, et qu’en ce moment ils ne délibèrent pas moins sur leur cause que sur la nôtre. « Pourquoi donc appréhenderaient-ils de faire succéder la guerre à la paix? Sans doute il est de la prudence de rester en repos tant que nul ne vous outrage ; mais, quand on les offense, les .hommes de cœur n’hésitent pas à courir aux armes, sauf à les déposer en temps opportun ; ils ne se laissent ni éblouir par les triomphes, ni charmer par les douceurs de la paix au point de dévorer une injure. Tel qui redoute la guerre par amour du repos risque de se voir bientôt ravir, par l’effet de son inertie, la jouissance de ce bien-être qu’il craint de perdre ; tel au contraire qui s’acharne à la guerre à cause de ses succès, obéit sans s’en douter à l’entraînement d’une confiance aveugle. Souvent des entreprises mal conçues réussissent grâce à l’imprévoyance des ennemis ; souvent aussi celles qui semblaient le mieux concertées n’aboutissent qu’à un résultat désastreux. C’est que personne ne met à poursuivre ses projets la même ardeur qu’à les former; on se décide avec sécurité ; puis le moment d’agir une fois venu, on est retenu par la crainte. « Quant à nous, c’est parce qu’on nous offense, c’est pour redresser dejustes griefs, qu'aujourd’hui nous tirons l’épée; quand nous nous serons vengés des Athéniens, il sera temps de la remettre au fourreau. « Plusieurs motifs nous promettent la victoire. Nous avons pour nous le nombre, l’expérience militaire, l’esprit de subordination. Quant à la marine qui fait leur force, nous en formerons une, soit avec nos finances particulières, soit avec les trésors de Delphes et d’Olympie. Au moyen d’un emprunt Il n’est pas question d’un emprunt tel que nous l’entendons aujourd’hui. Le crédit public était alors chose inconnue. Mais, en cas de nécessité, l’État pouvait emprunter les trésors des temples nationaux, en s’engageant à les restituer. Plusieurs inscriptions présentent des reconnaissances d’objets précieux ainsi empruntés aux temples. , il nous sera facile de débaucher par l’appât d’une solde plus forte leurs matelots étrangers. La puissance des Athéniens est mercenaire bien plus que nationale ; la nôtre, qui repose sur la population plutôt que sur l’argent, est moins exposée à ce danger. Une seule victoire navale suffit, selon toute probabilité, pour les abattre; si leur résistance se prolonge, nous aurons plus de temps pour nous exercer à la marine ; et une fois leurs égaux en science, notis les surpasserons apparemment en valeur ; car l’avantage que nous tenons de la nature, ils ne sauraient l’acquérir par l’instruction. Cette supériorité qu’ils doivent à l’étude, il nous faut par l’exercice la réduire à néant. L’argent nécessaire dans ce but, nous le fournirons; autrement il serait étrange qu’on vît leurs alliés ne pas se lasser de payer pour leur propre asservissement, tandis que nous refuserions de contribuer pour nous venger de nos ennemis, pour nous sauver nous-mêmes, enfin pour éviter d’être dépouillés de nos biens et engloutis avec eux dans un même naufrage.