Ainsi, pendant longtemps, les Athéniens habitèrent d’une manière indépendante le territoire de l’Attique; et, même après leur concentration, ils gardèrent invariablement, jusqu’à cette guerre, l’habitude de vivre aux champs avec leurs familles. Ce ne fut donc pas sans un vif déplaisir qu’ils abandonnèrent leurs foyers, d’autant plus qu’ils avaient réparé depuis peu les dommages occasionnés par les guerres médi-ques. Ils quittaient à regret des habitations et des temples auxquels les attachait une longue possession; ils allaient renoncer à leur manière de vivre et semblaient chacun dire adieu à leur ville natale. Arrivés à Athènes, un petit nombre d’entre eux y trouvèrent des logements ou un abri chez des amis ou des parents; la plupart s’établirent dans les endroits inhabités de la ville, dans les enceintes consacrées aux dieux et aux héros, partout enfin, sauf dans l’acropole, dansl’Éleusinion Temple de Cérès Êleusinienne, situé au N. de l’acropole, dans le voisinage de l’agora. et autres lieux solidement fermés. Il n’y eut pas jusqu’au Pèlasgicon Espace situé le long du mur septentrional de l’acropole, mur que les Pélasges avaient anciennement construit (Hérodote, VI, cxxxvii). Ce terrain devait rester vague et inhabité, peut-être pour des raisons religieuses, comme le pomœrium romain, peut-être aussi pour des motifs militaires, comme le rayon des forteresses modernes. , situé au pied de ^acropole, que la nécessité du moment ne contraignît d'occuper, nonobstant les imprécations qui s’y opposaient et l’oracle de Delphes qui l’avait expressément défendu dans ce vers : Mieux vaut que le Pèlasgicon reste vacant. Pour moi, je pense que cet oracle s’accomplit à l’inverse de ce qu’on avait prévu ; ce ne fut pas l’occupation sacrilège qui attira des maux sur la ville, mais ce fut la guerre qui nécessita l’occupation. C’est là ce que l’oracle n’avait pas expliqué; mais il savait sans doute que ce lieu ne serait habité que dans un temps de calamité publique. Plusieurs s’installèrent dans les tours des remparts, chacun enfin comme il put; car la ville ne suffisait pas à l’affluence. Finalement on envahit l’intervalle des longs murs D’après les vestiges encore existants des longs murs près du Pirée, la distance entre leurs deux lignes parallèles était de cinq cent cinquante pieds. et la majeure partie du Pirée. En même temps les Athéniens se préparaient à la guerre, rassemblaient leurs alliés et armaient cent vaisseaux contre le Péloponèse. Pendant ces préparatifs, l’armée des Péloponésiens, continuant sa marche, arriva devant OEnoé, première ville de l’Attique du côté où ils voulaient opérer l’invasion. Après avoir assis leur camp, ils se disposèrent à attaquer la muraille avec des machines Des béliers. Les autres machines de siège, telles que catapultes, balistes ou oxybêles, sont d’un usage plus récent, et qui date de l’époque de l’ancien Denys, tyran de Syracuse. (Voyez Diodore de Sicile, XIV, xliu.) et par d’autres moyens. OEnoé, située sur les confins de l’Attique et de la Béotie, était fortifiée et servait aux Athéniens de place d’armes en temps de guerre. Les Péloponésiens firent le siège de cette ville et y perdirent beaucoup de temps. L’armée en prit occasion de murmurer contre Archi damos. On lui reprochait son irrésolution, toute en faveur des. Athéniens, lorsqu’on avait agité la question de la guerre, son séjour prolongé à l'Isthme, la lenteur de sa marche, enfin sa temporisation devant OEnoé. Les Athéniens, disait-on, en avaient profité pour retirer leurs effets dans la ville, au lieu que, par un mouvement rapide, les Péloponésiens auraient tout surpris hors des murs. Sans s’émouvoir de ce mécontentement, Archi-damos patientait, dans l’espoir que les Athéniens seraient plus traitables, leur territoire étant encore intact, et qu’ils ne se résigneraient pas à en contempler froidement le ravage. Après avoir assailli sans résultat OEnoé et tout mis en ,œuvre pour s’en rendre maîtres, les Péloponésiens, ne voyant venir d’Athènes aucun héraut, levèrent le siège et pénétrèrent en Àttique, quatre-vingts jours après l’entrée des Thébains à Platée, et au moment où la moisson était en pleine maturité. Archidamos, fils de Zeuxidamos et roi de Lacédémone, les commandait. Ils campèrent d’abord près d’Eleusis, dans la plaine de Thria, ravagèrent la contrée et remportèrent un léger avantage sur la cavalerie athénienne dans l’endroit appelé les Rhites. Ensuite ils s’avancèrent, en laissant à droite le mont Égaléos, traversèrent Cropies et atteignirent Acharnes, le plus grand des dèmes de l’Attique Les dèmes (bourgs ou communes rurales) de l’At-tique étaient une division territoriale du pays. Autre est la division par tribus; celle-ci était basée sur l’origine des citoyens. Du temps de Clisthénès (509 av. J. C.), auteur dé la division des Athéniens en dix tribus. il y avait cent dèmes, dix par tribu (Hérodote, V, lxix) ; mais le nombre en fut ensuite augmenté; et, du temps de Strabon, contemporain de l’ère chrétienne, il y avait cent soixante-quatorze dèmes. Us étaient d’inégale importance. Leurs noms se tiraient des villes ou villages qui s’y trouvaient. . Ils y campèrent et étendirent leurs ravages sur les environs. En prenant position près d’Acharnes en ordre de bataille, sans descendre encore dans la plaine, Archidamos espérait, dit-on, que les Athéniens, fiers de leur nombreuse jeunesse et parfaitement préparés, sortiraient peut-être, et n’assisteraient pas de sang-froid à la dévastation de leur territoire. Ne les ayant rencontrés ni à Eleusis ni dans la plaine de Thria, il voulut voir si, en s’établissant près d’Acharnes, il ne les attirerait pas en rase campagne. L’endroit lui paraissait favorable pour y asseoir un camp. Il pensait que les Achamiens, formant une portion notable de l’Etat, puisqu’ils fournissaient trois mille hoplites, ne laisseraient pas dévaster leurs terres, mais qu’ils entraîneraient la masse au combat. Enfin, si les Athéniens ne s’opposaient pas à cette invasion, rien n’empêcherait de ravager la plaine et de pousser même jusqu’à la ville ; car il était peu probable que les Achamiens, après la ruine de leurs propriétés, missent la même ardeur à défendre celles des autres ; il en résulterait de la désunion. C’est là ce qui retenait Archidamos aux environs d’Acharnes. Tant que l’armée était restée près d’Eleusis et dans la plaine de Thria, les Athéniens avaient espéré qu’elle n’irait pas plus loin. Ils se souvenaient que Plistoanax, fils de Pausanias et roi des Lacédémoniens, lorsqu’il avait envahi l’Attique quatorze ans avant la guerre actuelle, s’était avancé jusqu’à Ëleu-sis et à Thria, mais qu’il avait rebroussé sans passer outre, ce qui l’avait fait bannir de Sparte, parce qu’on croyait qu’il avait reçu de l’argent pour battre en retraite Sur l’expédition de Piistoanax en Attique, voyez liv. I, ch cxiv, et, £ur son exil à Sparte, liv. V, ch. xvi. ; quand ils virent l’ennemi campé devant Acharnes, à soixante stades d’Athènes, ils perdirent patience. Le spectacle de leurs campagnes ravagées sous leurs yeux, spectacle nouveau pour les jeunes gens -et même pour les vieillards depuis les guerres médiques, les faisait frémir de rage. Tous, et principalement la jeunesse, deman-, daient à venger cet affront. Des groupes se formaient, on disputait avec vivacité, les uns pour, les autres contre l’appel aux armes. Les devins chantaient toute sorte d’oracles, que ohacun écoutait sous'l’empire de sa passion. Les Achamiens, qui se considéraient comme une fraction importante de la république, voyant leur territoire dévasté, demandaient à grands cris qu’on se mît en campagne. L’exaspération était au comble ; on jetait feu et flammes contre Périclès ; on oubliait ses avis précédents, on le taxait de lâcheté, parce qu’étant général il refusait de combattre ; enfin on le regardait comme l’auteur de tous les maux, Périclès, s’apercevant que les Athéniens ôtaient aigris par les événements et que l’opinion était égarée, convaincu d’ailleurs qu’il avait raison de s’opposer à toute sortie, ne convoquait ni assemblée ni réunion quelconque, de peur que le peuple ne fît quelque imprudence, s’il ne prenait conseil que de son courroux. Il se contentait de garder la ville et d’y maintenir autant qu’il le pouvait la tranquillité ; mais il expédiait journellement des cavaliers, pour empêcher les coureurs ennemis d’infester les environs d’Athènes. Il y eut même à Phrygies un léger engagement entre la cavalerie béotienue et un escadron athénien, appuyé par des Thessaliens. Les Athéniens soutinrent le combat sans désavantage, jusqu’au moment où l’ennemi reçut un renfort d’hoplites, qui les força de se replier avec quelque perte ; toutefois ils enlevèrent leurs morts le jour même sans composition Demander à l’ennemi la permission d’enlever les morts, c’était reconnaître qu’on n’était pas maître du champ de bataille, et par conséquent s’avouer vaincu. . Le lendemain, les Péloponésiens érigèrent un trophée. Ces auxiliaires thessaliens étaient venus en vertu de l’ancien pacte avec Athènes Sur l’alliance des Thessaliens avec Athènes, voyez liv. I, ch. eu et cvii. Voyez aussi liv. IV, ch. lxxviii, où il est dit que le peuple de Thessalie était de tout temps favorable aux Athéniens. Cependant la coopération des Thessaliens parait s’être bornée à ce premier envoi de cavalerie auxiliaire. Dès lors il n’en est plus question; c’est ce qui explique pourquoi Thucydide ne mentionne pas les Thessaliens dans son énumération des alliés d’Athènes. ; leur troupe se composait de Larisséens, de Pharsaliens Le texte reçu ajoute Παράσιοι , nom chine tille tout à tait inconnue. Il y avait bien une ville de Parrhasie en Arcadie; mais scholiaste de Thucydide est le seul qui parle de Parasie en Thessalie. Or ce scholiaste n’est pas très-versé dans la géographie, puisque (I, xrn) il place en Afrique la ville de Marseille, la confondant sans doute avec les Massyles. , de Cranoniens, de Pyrasiens, de Gyrtoniens et de Phéréens. A leur tête se trouvaient Polymédès et Aristonoos, tous deux de Larisse, mais de factions opposées, et Ménon de Pharsale. Chaque ville avait son chef particulier. Les Péloponésiens , voyant les Athéniens déterminés à refuser le combat, partirent d’Achames et ravagèrent quelques autres d£mes situés entre les monts Parnès et Briles-sos. Ils étaient encore en Attique, lorsque les Athéniens envoyèrent autour du Péloponèse les cent vaisseaux qu’ils avaient équipés, et qui portaient mille hoplites et quatre cents archers. Les commandants de cette flotte étaient Carcinos fils de Xéno-timos, Protéas fils d^piolès, et Socratès fils d’Antigénès. Ils mirent à la voile avec cet armement pour faire le tour du Péloponèse. Les Péloponésiens restèrent en Aftique aussi longtemps qu’ils eurent des vivres ; ensuite ils opérèrent leur retraite par la Béotie, et non par la route qu’ils avaient suivie au moment de l’invasion Au lieu de revenir sur leurs pas en traversant les cantons ravagés de l’Attique, ils suivirent la route de Décélie, et laissèrent à gauche le mont Pamès. D’Oropos ils remontèrent la vallée de l'Asopos, et prirent, à travers le Cithéron, le chemin des Dryos-céphales et d'Eleuthères, qui les ramenait à Éleusis . En passant devant Oropos, ils ravagèrent la contrée qui porte le nom de Péraïque Cette dénomination n’est pas certaine. D’autres lisent rpancrjv-11 s’agit d’un district situé entre Oropos et Tanagra, en face de Chalcis et d’Érétrie, et qui, pour cette raison, se nommait περαῖα ou πέραν γῆ . Hérodote (VIII, xliv) appelle ce même pays ἡ περαίη τῆς Βοιωτίης χώρας . et qui appartient aux Oropiens, sujets des Athéniens. De retour dans le Péloponèse, ils se séparèrent et chacun regagna ses foyers. Après leur départ, les Athéniens établirent, sur terre et sur mer, un système de défense pour toute la durée de la guerre. On décréta qu’une somme de mille talents serait prélevée sur le trésor de l'acropole et mise en réserve, et que le surplus serait appliqué aux dépenses de la guerre. Il y eut peine de mort pour quiconque ferait ou mettrait aux voix la proposition de toucher à cet argent, à moins que la ville ne fût menacée par une flotte ennemie et dans un danger imminent. On décréta pareillement qu’on tiendrait en réserve cent trirèmes, choisies chaque année parmi les meilleures, avec leurs triérarques Les triérarques étaient les commandants des trirèmes. Chaque année les généraux désignaient à tour de rôle, parmi les citoyens les plus imposés, autant de triérarques qu’il y avait de galères disponibles. L’État fournissait les vaisseaux, leurs agrès et la solde des équipages. Les triérarques étaient chargés de l’entretien de leur galère pendant la durée de la campagne. Cet impôt était très-onéreux. Après la guerre du Péloponèse, l’amoindrissement des fortunes particulières rendit cette organisation impossible. On permit alors à deux ou à plusieurs citoyens de se réunir pour faire les frais de la triérarchie. , pour n’ètre employées qu’avec l’argent du trésor et pour la même éventualité, c’est-à-dire en cas d’urgence. Les Athéniens qui montaient les cent vaisseaux envoyés autour du Péloponèse avaient été rejoints par cinquante bâtiments de Corcyre et par quelques autres alliés de ces parages. Ils dévastèrent divers points du littoral, et en particulier ils firent une descente à Méthone en Laconie. Déjà ils assaillaient la muraille, qui était faible et dépourvue de défenseurs ; mais, dans les environs, se trouvait alors le Spartiate Brasidas fils de Teliis, avec un corps de troupes. Averti du danger, il se porta au secours de la place à la tête d’une centaine d’hoplites ; et, traversant à la course l’armée athénienne, qui était éparse dans la campagne et distraite par les travaux du siège, il se jeta dans Méthone, sans perte sensible. Il sauva ainsi la ville et dut à ce trait de bravoure d’être le premier qui, daps le cours de cette guerre, obtint des éloges à Sparte. Les Athéniens reprirent la mer et, côtoyant le rivage, allèrent descendre en Élide, non loin de Phéa, dont ils ravagèrent le territoire pendant deux jours. Ils battirent trois cents hommes choisis de l'Élide-Creuse Nom de l’Élide proprement dite, comprenant la vallée encaissée qu’arrose le fleuve PénéOs. C’est là que se trouvait la ville d’Élis. Les sujets des Éléens sont ici les habitants de la Pisatide. où était située la ville de Phéa. et quelques habitants du voisinage, sujets des Ëléens, qui étaient venus les attaquer. Surpris par un orage sur cette côte sans port, la plupart des Athéniens se rembarquèrent et, doublant le promontoire Ichthys, gagnèrent le port de Phéa. Dans l’intervalle, les Messéniens et quelques autres qui n’avaient pu monter sur les vaisseaux s’avancèrent par terre jusqu'à Phea et s’en rendirent maîtres. La flotte, après avoir doublé le cap, les prit à bord et gagna le large en abandonnant la place, au secours de laquelle les Ëléens étaient arrivés en force. Les Athéniens continuèrent à suivre le rivage et dévastèrent d’autres endroits.