CXXXVI. Thémistocle, prévenu à temps, s’enfuit du Péloponnèse et se retira chez les Corcyréens qu’il avait obligés Suivant le scoliaste, Thémistocle s’était opposé à ce qu’on chàtiât les cités qui n’avaient point pris part à la lutte contre les Perses ; de ce nombre étaient les Corcyréens. . Mais ceux-ci lui ayant observé qu’ils craignaient, en le gardant, de s’attirer l’inimitié des Péloponnésiens et des Athéniens, il se fit transporter par eux sur le continent en face de Corcyre. Toujours poursuivi par les commissaires envoyés sur ses traces, traqué par eux partout où il cherchait asile, il fut contraint, dans un moment de détresse, de se retirer chez Admète Suivant Diodore, il aurait passé directement d’Argos chez Admète, et de là en Asie. , roi des Molosses, qui ne l’aimait pas. Admète se trouvait alors absent. Il s’établit en suppliant auprès de sa femme, et, sur ses conseils, il s’assit au foyer, tenant leur enfant dans ses bras. Le roi étant rentré peu après, il se fit connaître et lui représenta que, bien que lui-même eût été contraire à ses sollicitations auprès des Athéniens, il serait indigne d’Admète de se venger sur un exilé· ; que celui dont il avait eu à se plaindre était maintenant beaucoup plus faible que lui, et qu’il était généreux de ne se venger que de son égal ; que d’ailleurs s’il s’était montré opposé au roi, c’était dans une circonstance où il ne s’agissait que d’intérêts et non de la vie ; tandis qu’Admète, en le livrant (il lui fit connaître alors par qui il était poursuivi et pour quel motif), lui arrachait l’existence. Admète, à ces mots, fit relever Thémistocle qui était resté assis, tenant le fils du roi dans ses bras : c’était la forme de supplication la plus solennelle. CXXXVII. Lorsque les Lacédémoniens et les Athéniens arrivèrent, peu de temps après, il refusa de le livrer, malgré leurs pressantes sollicitations Et même malgré leurs menaces. (Voy. Diodore, xii , 56.) ; et, sur le désir qu’exprima Thémistocle de se rendre auprès du roi de Perse, il le fit conduire par terre jusqu’à Pydna, ville d’Alexandre Alexandre Philellène. , sur l’autre mer Sur le golfe Thermaique, tandis que les États d’Admète étaient situés sur le golfe Pagasétique. . Il y trouva un bâtiment qui faisait voile pour l’Ionie, s’y embarqua et fut poussé par la tempête devant le camp des Athéniens qui assiégeaient Naxos. L’équipage ne le connaissait pas ; mais la crainte l’obligea à dire au commandant qui il était et les motifs de sa fuite. Il lui déclara que, s’il ne le sauvait pas, il le considérerait comme un traitre gagné à prix d’argent pour le livrer ; que le plus sûr était de ne laisser personne sortir du vaisseau, jusqu’à ce qu’on pût reprendre la mer ; qu’enfin, s’il consentait à lui rendre ce service, il n’oublierait pas de le reconnaître dignement. Le commandant accéda à sa demande ; il mouilla à distance, pendant un jour et une nuit, au-dessus du camp des Athéniens, et alla aborder à Éphèse. Thémistocle reconnut ce service par un présent en argent ; car ses amis lui envoyèrent par la suite, d’Athènes et d’Argos, les richesses qu’il y avait secrètement déposées. De là il s’avança vers l’intérieur, guidé parmi Perse de la côte, et envoya une lettre à Artaxerxès, fils de Xerxès, qui venait de monter sur le trône 471 av. J.-C. . En voici le contenu : « Je suis Thémistocle ; je me rends près de toi ; j’ai fait à votre maison plus de mal qu’aucun des Grecs, tout le temps que j’ai été dans la nécessité de me défendre contre les attaques de ton père ; mais je lui ai fait beaucoup plus de bien encore dans sa retraite, lorsqu’il y avait sécurité pour moi et danger pour lui. J’ai donc droit à quelque reconnaissance. (Il rappelait ici qu’il avait prévenu Xerxès que les Grecs se préparaient à quitter Salamine Thémistocle avait fait prévenir Xerxès par un esclave que les Grecs se préparaient à fuir et qu'il eût à les attaquer sur-lechamp dans des conditions où la victoire serait facile pour lui. C’était un stratagème. ; et que c’était lui qui, en faisant répandre faussement la nouvelle de la rupture des ponts, l’avait alors empêchée). Maintenant encore je puis, on venant à toi, te rendre de grands services, moi qui suis poursuivi par les Grecs pour l’amitié que je te porte. Je veux, dans un an, t’expliquer moi-même pourquoi je me rends auprès de toi. » CXXXVIII. Le roi admira, dit-on, sa résolution, et l’engagea à y donner suite. Thémistocle, dans l’intervalle, apprit tout ce qu’il put de la langue des Perses et des usages du pays. Au bout d’un an, il se présenta devant le roi et reçut de lui plus d’honneurs et de puissance que n’en avait jamais obtenu aucun des Grecs Plutarque et Diodore s’étendent longuement sur les honneurs qui lui furent accordés à la cour de Perse. . Il dut cette distinction à son illustration antérieure, à l’espérance qu’il faisait concevoir au roi de lui soumettre la Grèce, et surtout à la perspicacité dont il donna des preuves. En effet, on remarquait chez Thémistocle une intelligence naturelle aussi sûre que puissante ; et, à cet égard, il méritait tout particulièrement l’admiration qu’inspire un homme supérieur. Une pénétration innée, que l’étude n’avait pas eu besoin de former, à laquelle l’étude n’avait rien ajouté, lui permettait de juger sai- nement, presque sans réflexion, les faits les plus imprévus, au moment même où ils se présentaient ; quant à l’avenir, il était rare que ses conjectures fussent démenties. Il avait une égale sûreté de coup d’oeil et pour traiter les questions dont il avait l’habitude, et pour saisir celles dont il n’avait point l’expérience. Pardessus tout il savait démêler à l’avance, au milieu des événements, ce qui était avantageux ou nuisible. En un mot, il excellait, grâce à la vigueur de son intel- ligence, à improviser presque sans travail tout ce qu’exigeaient les besoins du moment. Une maladie termina sa vie. On a aussi prétendu qu’il s’empoisonna lui-même, ne croyant pas pouvoir tenir les promesses qu’il avait faites au roi. Son tombeau est à Magnésie-d’Asie, sur la place publique ; car il était gouverneur de cette contrée, le roi lui ayant donné Les historiens font constamment allusion à cet usage des Perses. Hérodote dit ( i , 192) que quatre bourgs étaient attribués à l’entretien des chiens du roi. , pour le pain, Magnésie qui rapportait annuellement cinquante talents ; pour le vin Lampsaque, qu’on réputait le vignoble le plus fertile d’alors ; et Myonte Ville de Carie. pour la table. Ses parents assurent avoir rapporté, d’après ses ordres, ses restes dans l’Attique, sa patrie, et les y avoir ensevelis à l’insu des Athéniens ; car, ayant été banni pour trahison, il ne pouvait y être enseveli Voici la loi : « Si quelqu'un est convaincu d’avoir trahi « l’État, ou dérobé les choses sacrées, qu’il ne soit point ense- « veli dans l’Attique, et que ses biens soient confisqués. » . Ainsi finirent Pausanias de Lacédémone et Thémistocle d’Athènes, les deux hommes les plus illustres de la Grèce à cette époque. CXXXIX. Telles furent, lors de la première ambassade, les injonctions que firent et reçurent les Lacédémoniens pour l’expulsion des sacriléges. Ils renouvelèrent plus tard leurs réclamations ; de plus, ils enjoignirent aux Athéniens de lever le siége de Potidée et de rendre à Égine son indépendance ; ils insistaient surtout, et d’une manière formelle, sur le retrait du décret qui interdisait aux Mégariens les ports de domination athénienne et le marché de l’Attique Voy. chap. lxvii , et Aristoph. dans la Paix , v. 598. ; à cette condition, disaient-ils, ils ne feraient pas la guerre. Mais les Athéniens ne voulurent écouter aucune réclamation, pas plus celle relative au rapport du décret que les autres : ils accusaient les Mégariens de cultiver un terrain sacré, resté en litige entre eux Ce territoire, situé sur les frontières de l’Attique et de la Mégaride, était appelé Orgas , et consacré à Cérès et à Proserpine. , et de donner asile à leurs esclaves fugitifs Allusion aux servantes d’Aspasie, dont parle Aristophane dans les Acharn. , v. 525. . Enfin les derniers députés de Lacédémone, Ramphias, Mélésippus et Agésandre, sans revenir en rien sur les réclamations antérieures, firent cette simple déclaration : « Les Lacédémoniens veulent la paix ; elle subsisterait si vous laissiez aux Grecs leur indépendance. » Les Athéniens se formèrent alors en as- semblée et invitèrent chacun à donner son avis. Il fut résolu qu’après délibération on répondrait sur l’ensemble, une fois pour toutes. Bien des paroles furent échangées et les deux opinions opposées trouvèrent des partisans, les uns soutenant qu’il fallait faire la guerre, les autres que le décret ne devait pas être un obstacle à la paix, et qu’il fallait le rapporter. Périclès, fils de Xanthippe, s’avança alors ; c’était, à cette époque, l’homme le plus éminent d’Athènes, le premier en tout, et pour la parole et pour l’action. Il les exhorta en ces termes : CXL. « Athéniens, mon opinion n’a pas changé : nous ne devons pas céder aux Péloponnésiens. L’ardeur avec laquelle on se détermine à la guerre ne persiste pas, je le sais, quand il faut agir ; el les pensées des hommes tournent au gré des événements. Néanmoins je sens qu’aujourd’hui encore il me faut persévérer à vous donner les mêmes conseils ; je crois juste que ceux d’entre vous qui les auront adoptés soutiennent les résolutions prises en commun, même si tout ne réussit pas au gré de nos espérances ; sinon, qu’ils ne viennent point, en cas de succès, l’attribuer après coup à leur propre sagesse ; — car il peut se faire qu’il y ait inconséquence dans la marche des événements, tout aussi bien que dans les pensées des hommes ; et c’est pour cela que nous avons coutume d’accuser la fortune, toutes les fois qu’un événement imprévu vient tromper notre attente. « Les dispositions hostiles des Lacédémoniens contre nous étaient évidentes auparavant ; elles le sont encore plus aujourd’hui. Car, bien que les traités portent que les différends réciproques seront réglés à l’amiable, chacun de nous restant provisoirement nanti de ce qu’il a entre les mains, ils n’ont jamais voulu ni réclamer l’arbitrage, ni l’accepter lorsque nous l’avons offert ; ils aiment mieux dans leurs réclamations en appeler aux armes qu’à la justice ; et déjà ce sont des ordres, ce ne sont plus des plaintes qu’ils vous apportent. Ils nous ordonnent de lever le siége de Potidée, de rendre l’indépendance à Égine, et de rapporter le décret contre les Mégariens. Enfin voilà leurs derniers députés qui viennent nous enjoindre de laisser la liberté à tous les Grecs. Ils proclament bien haut que, le décret Contre les Mégariens. rapporté, il n’y aura pas de guerre ; mais n’allez pas, pour cela, vous imaginer qu’en refusant de le rapporter nous ferions la guerre pour bien peu de chose. Il ne faut pas qu’un jour, regardant en arrière, vous trouviez en vous le regret d’avoir fait la guerre pour un motif futile : dans ce peu de chose, il y a l’affer- missement de votre puissance et l’épreuve de votre fermeté. Si vous leur cédez, bientôt ils vous feront des injonctions plus rigoureuses, dans l’espoir que, par crainte, vous obéirez encore. En tenant ferme, au contraire, vous leur montrerez clairement que le mieux est d’agir avec vous sur le pied de l’égalité. CXLI. « Avisez donc, d’après cela : ou bien obéissez avant d'avoir éprouvé aucun dommage, ou bien, si nous faisons la guerre, ce qui me paraît le meilleur parti, ne cédez pour aucun motif, grave ou léger, afin de n’être pas réduits à craindre sans cesse de perdre ce que vous possédez ; car il y a toujours esclavage dans l’obéissance à un ordre, que l’objet en soit important ou non, lorsqu’il vient d’un égal et précède tout jugement. « Quant à la guerre et aux ressources des deux partis, vous vous convaincrez par les détails suivants que nous ne le céderons en rien : les Péloponnésiens vivent de leur travail ; ils n’ont ni richesses privées, ni fortune publique. Ils n’ont pas davantage l’expérience des longues guerres, de celles qu’on fait au-delà des mers ; parce que, grâce à leur pauvreté, leurs luttes entre eux sont de courte durée. Dans cette situation, ils ne peuvent ni équiper des vaisseaux, ni même faire sur terre de fréquentes expéditions au dehors ; car il leur fau- drait tout à la fois abandonner leurs propriétés et prendre sur eux-mêmes les frais de la guerre ; d’ailleurs la mer leur est interdite. C’est avec des trésors en réserve, bien plus que par des contributions forcées, qu’on soutient la guerre ; et des hommes qui vivent de leur travail sont bien plus disposés à sacrifier dans les com- bats leur corps que leur pécule ; car ils ont l’espérance d’échapper au danger, tandis qu’ils no sont point sûrs de n'avoir pas épuisé prématurément leurs ressources ; surtout si, contre leur attente, la guerre traîne en longueur, comme cela est ici vraisemblable. « Les Péloponnésiens et leurs alliés sont en état de tenir tête à tous les Grecs réunis, dans une affaire unique ; mais ils ne peuvent faire une guerre soutenue, contre un ennemi qui a des ressources toutes différentes ; car, n’ayant pas un conseil unique, ils ne peuvent exé- cuter sur l’heure une résolution soudaine. En regard de l’égalité du suffrage, il y a chez eux différence de race, opposition d’intérêts ; et, par suite, rien n’arrive à bonne fin. Les uns sont surtout préoccupés de telle vengeance qu’ils ont en vue, les autres ne voient que leurs intérêts privés, qu’ils craignent par-dessus tout de compromettre ; on se rassemble lentement ; on n’accorde que peu d’attention aux affaires publiques ; on s’occupe le plus souvent des siennes propres. Chacun pense ne pas nuire, par sa négligence, à l’intérêt général, persuadé qu’un autre y pourvoira pour lui ; si bien que, tous faisant en particulier le même raisonnement, le bien public se trouve, en somme, avoir été sacrifié sans qu’on s’en doutât. CXLII. « La plus grande difficulté pour eux sera le manque d’argent ; ils ne s’en procureront que lentement, perdront du temps ; et, à la guerre, les occasions n’attendent pas. « Ni les forts qu’ils pourraient élever chez nous, ni leur marine, ne peuvent non plus nous inquiéter sérieusement : pour ce qui est des fortifications, ils n’élèveront pas sans doute une ville comme la nôtre ; c’est difficile en temps de paix, à plus forte raison en pays ennemi, en face d’une ville comme Athènes, fortifiée aussi, et de longue main. S’il ne s’agit que d’une forteresse, ils pourront nous inquiéter par des incursions sur quelques parties de notre territoire, et en donnant asile à nos transfuges ; mais ils ne nous empêcheront certes pas d’aller chez eux par mer assiéger leurs places ; nous les harcèlerons à notre tour avec la flotte qui fait notre force. Nous trouverons dans notre expérience de la mer plus de ressources pour la guerre con- tinentale qu’ils n’en trouveront dans leur armée de terre pour une lutte maritime. Devenir marins habiles ne sera pas chose facile pour eux ; puisque vous-mêmes, adonnés à la pratique de cet art depuis la guerre médique, vous ne l’avez pas encore porté à la perfection·, comment donc des laboureurs, des hommes étrangers à la mer, arriveraient-ils à quelque résultat, surtout lorsque vos nombreux vaisseaux, sans cesse à leur poursuite, ne leur permettront pas même de s’exercer ? Ils pourraient peut-être se risquer contre quelque faible division, leur nombre les rassurant sur leur ignorance ; mais, contenus par des flottes considérables, ils seront condamnés à l’inaction ; le défaut d’exercice les rendra plus ignorants, et l’ignorance plus timides. La marine est un art aussi difficile que tout autre ; on ne peut pas s’y appliquer au hasard et accessoirement ; loin de là, elle n’admet pas qu’on fasse, même accessoirement, rien autre chose. CXLIII. « Supposons même qu’ils mettent la main sur les trésors d’Olympie et de Delphes, et qu’ils tentent de nous débaucher, par une solde plus élevée, nos matelots étrangers : ce serait là un danger, si nous n’étions en état de leur tenir tête à nous seuls, en nous embarquant avec les métoeques Étrangers naturalisés. ; mais, cet avantage, nous le possédons ; et, ce qui est surtout décisif, nous trouvons parmi nos nationaux des pilotes et des équipages meilleurs et plus nombreux que dans tout le reste de la Grèce. D’ailleurs, aucun étranger ne voudrait, pour quelques jours de haute paie, aller au danger et s’exposer à être exilé de sa patrie, dans le seul but de combattre à leurs côtés, avec moins d’espérance de vaincre. « Telle est, ou à peu près, ce me semble, la situation des Péloponnésiens. La nôtre est toute différente ; à l’abri des critiques que je viens de leur adresser, nous avons encore sur eux d’autres avantages considérables. S’ils envahissent notre pays par terre, nous attaquerons le leur par mer, et alors la dévastation d’une partie seulement du Péloponnèse ne peut plus se comparer à celle de l’Atlique, même tout entière : ils n’auront pas une autre contrée à occuper sans combat ; nous, au contraire, la terre ne nous manquera pas, et dans les iles, et sur le continent ; car c’est une grande chose que l’empire de la mer. Examinez plutôt : si nous étions insulaires, quelle puissance serait plus inexpugnable ? Aussi devons-nous songer à nous rapprocher le plus possible de cet état, en abandonnant nos champs, nos habitations du dehors, et en nous bornant à garder la mer et notre ville. Ne nous laissons point emporter par l’indignation à combattre les Péloponnésiens, bien plus nombreux que nous : vainqueurs, nous aurions bientôt à faire face à des armées tout aussi nombreuses ; vaincus, nous perdrions ce qui fait notre force, l’assistance de nos alliés ; car ils ne se tiendront pas en repos du moment où nous ne serons plus en état de marcher contre eux. « Ne gémissons pas sur nos maisons et nos terres ; ne songeons qu’aux hommes ; car ce ne sont pas ces choses qui nous possèdent, mais nous qui les possédons. Si même j’espérais vous persuader, je vous engagerais à aller de vos propres mains ravager vos champs, afin de montrer par là aux Péloponnésiens qu’ils ne seront pas pour vous un motif de soumission à leurs ordres. CXLIV. « Bien d’autres motifs encore me font espérer la victoire ; pourvu cependant que vous ne prétendiez pas, tout en faisant la guerre, accroître votre domination et ajouter volontairement aux périls de l’entreprise. Car je crains plus nos propres fautes que les desseins de nos adversaires. Mais je reviendrai à ce sujet, pour le traiter plus tard, dans le cours des événements. Maintenant, renvoyons les députés avec cette réponse : Nous ouvrirons aux Mégariens notre marché et nos ports, si les Lacédémoniens, de leur côté, consentent à ne pas éloigner de chez eux, comme étrangers, nous et nos alliés. Car, de part et d’autre, nous conservons sur ce point toute liberté, les traités ne renfermant aucune prescription contraire : nous rendrons aux villes leur indépendance, si elles en jouissaient lors de la conclusion du traité, et si les Lacédémoniens permettent aux villes de leur domination d’adopter, non pas un gouvernement approprié aux intérêts de Lacédémone, mais celui qu’elles choisiront librement ; nous nous soumettons à un arbitrage, conformément au traité ; enfin nous ne commencerons pas la guerre, mais nous nous défendrons contre les agresseurs. « Voilà ce qu’il est juste de répondre, ce qui en même temps convient à la dignité de cette ville. Sachons, d'ailleurs, que la guerre est inévitable ; que si nous l’entreprenons volontairement, nos adversaires pèseront sur nous avec moins de force, enfin que des plus grands dangers naissent, pour les États et les particuliers, les plus grands honneurs. Ainsi nos pères se sont levés contre les Mèdes ; ils n’avaient point, en marchant à l’ennemi, nos immenses ressources ; ils abandonnaient tout ce qu’ils possédaient ; et pourtant, par la sagesse de leurs desseins bien plus que par les faveurs de la fortune, avec une ardeur supérieure à leurs forces, ils ont repoussé les barbares et sont parvenus à ce haut degré de puissance. Ne restons pas audessous d’eux ; mais luttons de toutes nos forces contre l’ennemi, et efforçons-nous de transmettre intacte cette puissance à nos descendants. » CXLV. Ainsi parla Périclès. Les Athéniens, persuadés qu’il leur conseillait ce qu’il y avait de mieux, rendirent un décret conforme à son avis ; et, dans leur réponse aux Lacédémoniens, ils se réglèrent pour chaque point sur son opinion. Ils disaient, en général, que jamais ils ne concéderaient rien à aucune injonction ; mais qu’ils étaient prêts à traiter sur le pied de l’égalité, et à faire juger leurs contestations conformément au traité. Les députés se retirèrent, et il n’y eut plus dès lors d’ambassade. CXLVI. Tels furent, de part et d’autre, les griefs et les motifs de rupture avant la guerre ; ils dataient des affaires d’Épidamne et de Corcyre. Cependant le commerce réciproque subsistait encore, les relations internationales continuaient sans héraut, mais non pas sans défiance ; car il y avait atteinte profonde aux garanties des traités, et prétexte de guerre. LIVRE DEUXIÈME. I. Ici commence la guerre entre les Athéniens et les Péloponnésiens, assistés de leurs alliés respectifs Il les énumère au chap. ix. — L’an 432 av. notre ère ; 1 re année de la 87 e olympiade. . Pendant sa durée, les communications n’eurent plus lieu sans l’intermédiaire d’un héraut ; et les hostilités, une fois commencées, se poursuivirent sans interruption. J’ai suivi pas à pas, dans ce récit, l’ordre des événements, par été et par hiver. II. La trêve de trente ans, conclue après la prise de l’Eubée Elle fut conquise par Périclès ; voir liv. I, ch. 114. , subsista quatorzeans. La quinzième année,— Chrysis exerçait alors le sacerdoce à Argos depuis qua- rante-huit ans Le temple de Junon, dont Chrysis était prêtresse, n’était pas à Argos, mais sur la route d’Argos à Corinthe, à quarante stades de ta première ville. Neuf ans plus tard, Chrysis s’endormit dans . le temple, en laissant sa lampe auprès de bandelettes qui prirent feu ; le temple fut entièrement consumé, et Chrysis s’enfuit à Tégée. , Enésius était éphore à Sparte, et Pythodore avait encore l'archontat pour deux mois Les archontes entraient en charge au mois hécatombéon. La tentative sur Platée tombe donc la 1 re année de la 87 e olympiade, à la fin du dixième mois, nommé munychion. à Athènes, — le sixième mois après la bataille de Potidée, au commencement du printemps, des Thébains, au nombre d’un peu plus de trois cents, sous les ordres des béotarques Les béotarques, ou chefs de la confédération béotienne, étaient au nombre de onze ; ils formaient ce qu’on appellerait aujourd’hui le pouvoir exécutif, sous le contrôle d’un sénat. Pythangelus, fils de Philidès, et Diem- porus, fils d’Onétoridès, entrèrent en armes à Platée Sur l’Asopus, à l’ouest de Thèbes, dont elle était distante de soixante-dix stades (environ treize mille mètres). , ville de Béotie, alliée des Athéniens. C’était au moment du premier sommeil. Ce furent des habitants de Platée, Nauclide et ses complices, qui les appelèrent etleur ouvrirent les portes. Ils voulaient, dans des vues d’ambition personnelle, tuer ceux des citoyens qui leur étaient opposés, et soumettre la ville aux Thébains. Cette intrigue avait été concertée avec Eurymaque, fils de Léontiadès, homme très puissant à Thèbes. Les Thébains, en effet, avaient toujours été en différend avec Platée, et, prévoyant la guerre, ils voulaient l’occuper d’avance, pendant que les hostilités n’étaient pas ouvertement déclarées. Aussi leur fut-il d’autant plus facile d’y pénétrer sans être découverts, aucune garde n’étant encore établie. Ils rangèrent leurs armes sur la place, et là, au lieu de suivre le conseil que leur donnaient ceux qui les avaient appelés de se mettre à l’oeuvre sur-le-champ et d’envahir les maisons du parti ennemi, ils curent la pensée de recourir à des proclamations conciliantes, afin d’amener la ville à un accord amiable. Ils firent donc publier par le héraut que ceux qui voudraient entrer dans leur ligue, sur le pied des conventions anciennement faites entre tous les Béotiens, eussent à venir en armes se joindre à eux. Ils pensaient que par ce moyen la ville se soumettrait sans difficulté. III. Quand les Platéens s’aperçurent que les Thébains étaient dans leurs murs, et que la ville avait été surprise, ils furent d’abord saisis de terreur ; car ils croyaient les ennemis beaucoup plus nombreux, la nuit empêchant de distinguer. Ils consentirent donc â traiter, reçurent les propositions qu’on leur faisait et restèrent en repos, avec d’autant moins de difficulté que les Thébains ne faisaient contre personne aucune entreprise hostile. Mais, au milieu de ces pourparlers, ils s’aperçurent que les Thébains étaient en petit nombre et qu’en les attaquant ils pourraient en venir à bout aisément ; car la grande majorité du peuple plaléen ne voulait pas se détacher des Athéniens. L’attaque fut donc résolue : ils se réunirent en perçant les murs mitoyens, afin de n’être pas découverts dans le parcours des rues, mirent en travers des rues des chars dételés, en guise de murailles, et firent, autant que possible, toutes les dispositions qui leur parurent appropriées à la circonstance. Les préparatifs terminés, ils profitèrent du reste de la nuit, et, à l’approche de l’aurore, sortirent de leurs maisons pour l’attaque ; ils avaient calculé qu’au lieu d’avoir à combattre un ennemi enhardi par la clarté du jour et placé dans des conditions égales, ils auraient affaire à une troupe ef- frayée par l’obscurité, et inférieure à eux-mêmes pour la connaissance des lieux. Ils s’élancèrent donc et en vinrent aux mains sans délai.