LXXX. « J’ai moi-même l’expérience de bien des guerres, ô Lacédémoniens, et je vois parmi vous des hommes de mon âge qui l’ont également. Aussi ne vous laisserez-vous point entraîner aveuglément, comme tant d’autres, à désirer la guerre, ni à la croire utile et sans danger. Celle sur laquelle vous délibérez en ce moment ne paraîtra pas, tant s’en faut, de médiocre importance, si l’on y réfléchit mûrement. Contre les Péloponnésiens et les peuples limitrophes nous combattons dans les mêmes conditions, et nous pouvons nous porter rapidement sur chaque point. Mais quand il s’agit d’hommes qui habitent une contrée éloignée, qui ont, de plus, une grande expérience de la mer, qui sont abondamment pourvus de tout, richesses particulières et publiques, flotte, chevaux, armes, population plus nombreuse qu’aucun autre État de la Grèce, nombreux alliés tributaires, peut-on s’engager légèrement dans une guerre contre eux ? Sur quoi donc comptons-nous pour nous précipiter ainsi en avant sans préparatifs ? Sur nos vaisseaux ? Mais à cet égard nous leur sommes inférieurs ; et, pour nous exercer, pour leur opposer une flotte, il faudra du temps. Sur nos finances ? Sur ce point notre infériorité est bien plus grande encore ; nous n’avons ni trésor public ni ressources disponibles dans les fortunes privées. LXXXI. « Peut-être a-t-on un autre motif de confiance : supérieurs par les armes et le nombre, nous pourrons faire des incursions sur leur territoire et le ravager ? Mais ils ont bien d’autres contrées soumises à leur domination et se procureront par mer tout ce dont ils ont besoin. Essaierons-nous de soulever leurs alliés ? mais alors il nous faut une flotte pour les soutenir, puisque la plupart sont insulaires. Quelle espèce de guerre allons-nous donc faire ? Si nous n’avons pas une marine supérieure, si nous ne tarissons la source des revenus qui entretiennent leurs flottes, c’est nous qui aurons le plus à souffrir ; et avec cela nous ne pourrons plus honorablement proposer la paix, surtout si les premières hostilités paraissent de notre fait. Il ne faut donc pas nous laisser aller à l’espoir qu’il suffira de ravager leur pays pour en avoir bientôt fini avec cette guerre ; je crains bien plutôt que nous ne la laissions à nos enfants ; car il est vraisemblable que les Athéniens auront trop d’orgueil pour se rendre esclaves de leur sol et pour s’effrayer de la guerre, comme s’ils n’en avaient pas l’expérience. LXXXII. « Je ne prétends pas cependant que nous laissions, sans nous émouvoir, les Athéniens maltraiter nos alliés, et que nous fermions les yeux sur leurs manoeuvres. Mais j’entends qu’avant de prendre les armes nous leur envoyions porter nos griefs, sans manifester ni impatience de la lutte, ni faiblesse. Pendant ce temps nous ferons nos dispositions ; nous engagerons dans notre cause des alliés, grecs ou barbares ; nous verrons à nous procurer, n’importe de quel côté, un renfort de vaisseaux et d’argent ; car, en butte comme nous le sommes aux machinations des Athéniens, on ne saurait nous blâmer de recourir, pour notre salut, non-seulement aux Grecs, mais encore aux barbares. En même temps déployons nous-mêmes toutes nos ressources. Si les Athéniens écoutent nos réclamations, ce sera pour le mieux ; sinon, laissons écouler deux et trois ans, et alors, parfaitement préparés, marchons contre eux s’il nous convient. Peut-être, lorsqu’ils verront nos préparatifs répondre à nos discours, céderont-ils plus faci- lement ; d’autant mieux que leur territoire ne sera pas entamé et qu’ils auront à délibérer non sur des ruines, mais sur des biens présents et encore intacts. Vous devez, en effet, regarder leur territoire comme un gage pour vous et rien de plus, gage d’autant plus sûr que le pays est mieux cultivé. Il vous faut donc épargner leurs campagnes le plus longtemps possible, au lieu de les rendre plus difficles à vaincre en les réduisant au désespoir. Mais si, avant même d’avoir fait aucun préparatif, nous nous laissons entraîner par les plaintes de nos al- liés à ravager l’Attique, prenez garde qu’il n’en résulte tout au contraire honte et embarras pour le Péloponnèse. On peut arranger les différends soit des villes entre elles, soit des particuliers ; mais quand, pour une querelle particulière Le différend des Corinthiens avec les Athéniens. , nous nous serons engagés tous ensemble dans une guerre dont on ne saurait prévoir l’issue, il ne sera pas facile d’en sortir avec honneur. LXXXIII. « Et qu’on ne croie pas qu’étant si nombreux contre un seul peuple, il y a lâcheté à ne pas l’attaquer sur-le-champ : les Athéniens n’ont pas moins d’alliés que nous ; ils en tirent des tributs ; et la guerre dépend moins encore des armes que de l’argent qui les utilise, surtout quand c’est un État continental qui lutte contre une nation maritime. Procuronsnous donc d’abord de l’argent ; mais, jusque-là, ne nous laissons pas entraîner par les discours de nos alliés ; c’est nous qui aurons la plus grande part dans la responsabilité, quelle que soit l’issue des événements ; c’est donc à nous aussi d’y réfléchir à loisir. LXXXIV. « Cette lenteur et cette temporisation Qu’on nous reproche tant, n'en rougissez pas ; car la précipitation ne ferait que retarder le moment du repos, si vous commenciez la guerre sans être préparés. Après tout, nous habitons une ville qui n’a jamais cessé d’être libre et heureuse entre toutes ; et ce qu’on blâme en nous n’est peut-être que prudence et sagesse. C’est grâce à cette disposition que seuls nous ne sommes ni insolents dans la prospérité, ni abattus comme d’autres par le malheur. Quand, par la louange, on veut nous précipiter dans des périls que nous ne croyons pas devoir affronter, nous ne nous laissons point exalter par la flatterie ; veut-on nous piquer par des reproches, ils ne nous touchent pas davantage, et nous savons résister sans colère. Cette sage modération fait notre force à la guerre et dans les conseils : à la guerre, parce que le sentiment de l’honneur tient beaucoup de la sagesse, et que le courage doit beaucoup aussi à la crainte du déshonneur ; dans les conseils, parce que, élevés dans une profonde ignorance du mépris des lois, nous sommes formés à une mâle et austère discipline qui ne nous permet pas de les violer. Assez peu versés, d’ailleurs, dans les vaines subtilités Allusion perpétuelle aux habitudes des Athéniens. nous ne savons pas critiquer dans de beaux discours les préparatifs de nos ennemis pour démentir ensuite nos paroles par les faits ; nous croyons que l’intelligence de nos voisins ressemble à la nôtre, et que les hasards de l’avenir échappent au raisonnement Tout ceci est dirigé contre les Corinthiens. C’est-à-dire : les Corinthiens ne sont pas plus habiles que nous à prévoir l’avenir, et tout ce qu’ils ont dit des dangers futurs est imaginaire. . Nous supposons toujours que nos ennemis prendront de sages mesures, et nous faisons nos préparatifs en conséquence. Ce n’est point sur les fautes qu’ils pourront commettre que nous devons fonder nos espérances, mais bien sur les garanties que nous donnent nos propres mesures : car, en réalité, il n’y a pas, qu’on se garde de le croire, une grande différence d’un homme à un autre ; celui-là vaut le mieux qui a reçu l’éducation la plus forte et la plus austère. LXXXV. « Ces principes nous ont été légués par nos pères, et nous les avons constamment suivis nousmêmes , à notre grand avantage ; ne les abandonnons pas ; ne nous hâtons pas follement de prononcer en un jour, en un instant, sur tant d’hommes, de richesses et de villes, même sur notre propre gloire. Réfléchissons à loisir ; nous le pouvons mieux que personne, grâce à notre puissance. Envoyez à Athènes au sujet de Poti- dée ; envoyez-y également au sujet des injustices dont les alliés prétendent avoir à se plaindre. Les Athéniens eux-mêmes offrent l’arbitrage ; et on ne peut légitimement poursuivre tout d’abord comme agresseurs ceux qui se soumettent à la justice. En même temps pré- parez-vous à la guerre : vous ne pouvez prendre une détermination meilleure pour vous, plus redoutable à vos adversaires. » Ainsi parla Archidamus. Sthénélaïdas, alors éphore, s’avança le dernier et s’exprima ainsi : LXXXVI. « Je n’entends rien aux longs discours des Athéniens : ils se sont beaucoup loués eux-mêmes, sans répondre aucunement à l'accusation d’injustice contre nos alliés et le Péloponnèse. Au reste, si, après s’être bien conduits autrefois contre les Mèdes, ils agissent mal envers nous aujourd’hui, ils sont doublement punissables, puisqu’ils sont devenus pervers, de bons qu’ils étaient. Pour nous, ce que nous étions alors, nous le sommes encore ; et, si nous sommes sages, nous ne tolérerons point l’offense faite à nos alliés ; nous ne remettrons pas à l’avenir pour les venger, puisque leurs souffrances ne sont pas à venir. D’autres ont des richesses en abondance, des vaisseaux, des chevaux ; nous avons, nous, de bons alliés, qu’il ne faut pas livrer aux Athéniens. Ce n’est point en justice et par des paroles que doit être vidée la querelle ; car ce n’est point en paroles qu’ils ont souffert ; il faut poursuivre leur vengeance au plus vite et de toutes nos forces. Et qu’on ne vienne pas nous dire que nous devons délibérer quand on nous fait injure ; c’est bien plutôt à ceux qui méditent l’injustice qu’il appartient de délibérer longtemps. Décrétons donc la guerre, ô Lacédémoniens, comme il convient à Sparte ; ne laissons pas les Athéniens s’agrandir encore ; ne trahissons pas nos alliés ; mais, avec l’aide des dieux, marchons contre les agresseurs. » LXXXVII. Après ces paroles, il mit lui-même la question aux voix en sa qualité d’éphore : mais, comme à Lacédémone on vote par acclamation au lieu de déposer un suffrage, il déclara ne pas reconnaître dans quel sens était l’acclamation la plus forte ; il voulait que l’assemblée, en manifestant explicitement son opinion pour la guerre, fût par cela même plus irrévocablement engagée. « Que ceux d’entre vous, ditil, qui pensent que le traité est rompu et que les Athéniens nous ont manqué, passent de ce côté (et il indiquait la place) ; que ceux qui sont d’une opinion contraire passent du côté opposé. » On se leva, et, après partage, ceux qui jugeaient le traité rompu furent, de beaucoup, les plus nombreux. Les Lacédémoniens rappelèrent alors les alliés Ceux-ci se retiraient au moment de la délibération, lorsqu’il s’agissait de questions soumises à la décision des Lacédémoniens seuls. — Il résulte de l’ensemble de ce passage que le gouvernement aristocratique de Lacédémone avait gardé quelques-unes des formes démocratiques, en particulier la décision par le peuple des questions de paix et de guerre. et leur dirent qu’ils jugeaient les Athéniens coupables ; mais qu’ils voulaient convoquer tous les alliés à donner leur suffrage, afin de n’entreprendre la guerre que si elle était décidée dans une délibération générale. Cette affaire réglée, les alliés se retirèrent : les députés d’Athènes partirent après eux, lorsqu’ils eurent réglé l’affaire pour laquelle ils étaient venus. Ce vote, par lequel l’assemblée déclarait le traité rompu, eut lieu la qua- torzième année de la trêve de trente ans 432 av. J.-C. , conclue après les affaires d’Eubée. LXXXVIII. En déclarant le traité rompu et en votant pour la guerre, les Lacédémoniens cédèrent bien moins aux suggestions des alliés qu’à la crainte des Athéniens ; car ils les voyaient déjà en possession de la plus grande partie de la Grèce, et craignaient qu’ils ne s’agrandissent encore. LXXXIX. Voici, du reste, comment les Athéniens parvinrent à la direction des affaires, source première de leur puissance. Lorsque les Mèdes, vaincus sur terre et sur mer par les Grecs, eurent quitté l’Europe, et que ceux d’entre eux qui s’étaient retirés sur leurs vais- seaux à Mycale eurent été détruits Léotychidas et Xantippe vainquirent les Perses à Mycale, l’an 479 av. J.-C. , Léotychidas, roi des Lacédémoniens, qui commandait à Mycale, retourna dans sa patrie avec les alliés du Péloponnèse. Les Athéniens, au contraire, avec les alliés de l’Ionie et de l’Hellespont qui déjà s’étaient détachés du roi, continuèrent la guerre et assiégèrent Sestos Cette ville avait une assez grande importance, parce qu’elle assurait aux Perses le passage d’Asie en Thrace, et delà dans la Macédoine et le reste de la Grèce. , occupée par les Mèdes. Ils passèrent l’hiver devant cette place, dont les rendit maîtres le départ des barbares ; ensuite ils quittèrent l’Hellespont pour rentrer chacun dans leur pays. Dès que les barbares eurent évacué l’Attique, les Athéniens ramenèrent leurs enfants, leurs femmes et leurs effets des lieux où ils les avaient mis en sûreté Trézène et Salamine. , et se disposèrent à relever leur ville et leurs murailles. L’enceinte était détruite à peu de chose près ; la plupart des maisons étaient tom- bées Suivant Hérodote, Mardonius, en quittant la ville, brûla tout ce qui restait debout des temples et des maisons. ; il ne restait debout que celles, on petit nombre, qu’avaient occupées les plus considérables des Perses. XC. Les Lacédémoniens, informés de ce qui se préparait, envoyèrent une députation à Athènes. Personnellement ils auraient mieux aimé que ni Athènes ni aucune autre ville ne fût fortifiée ; mais ils étaient surtout poussés par leurs alliés qu’inquiétaient et la marine des Athéniens, bien plus nombreuse qu’autrefois, et l’audace dont ils avaient fait preuve dans la guerre médique. Ils les invitaient donc à ne pas se fortifier, et même à détruire, de concert avec eux, toutes les fortifications en dehors du Péloponnèse. Toutefois ils ne laissaient percer ni leur but, ni leurs sentiments de défiance ; ils donnaient pour prétexte qu’il ne fallait pas que les barbares, s’ils revenaient, trouvassent, comme dernièrement à Thèbes, un point fortifié qui servît de base à leurs attaques. Le Péloponnèse, disaient-ils, offrirait à tous les Grecs une retraite et un point d’appui suffisants. Les Athéniens, sur l’avis de Thémistocle, répondirent à cette ouverture qu’ils allaient de leur côté envoyer aux Lacédémoniens des députés pour en conférer, et ils congédièrent sur-le-champ les ambassadeurs. Thémistocle demanda à être envoyé immédiatement à Lacédémone ; on devait ensuite lui choisir des collègues ; mais, au lieu de les faire partir sur-lechamp, on les retiendrait jusqu’à ce que la muraille eût atteint la hauteur strictement nécessaire pour la défense. Tout ce qu’il y avait d’habitants dans la ville, hommes, femmes, enfants, devait se mettre au travail, sans épargner ni édifices publics, ni maisons parti- culières ; tout ce qui pouvait offrir quelque utilité pour la construction du mur devait être démoli. Ces instructions données, il laissa entendre qu’il ferait le reste à Lacédémone, et partit. Une fois arrivé, au lieu de se présenter devant les magistrats, il temporisa sous divers prétextes ; quand quelqu’un des magistrats lui demandait pourquoi il ne se rendait pas à l’assemblée, il répondait qu’il attendait ses collègues, restés en arrière pour quelque affaire ; qu’il comptait sur leur prompte arrivée et s’étonnait même de ne pas les voir paraître. XCI. Quand on entendait Thémistocle, l’affection qu’on avait pour lui faisait accepter ses raisons. Mais, d’un autre côté, des personnes arrivant d’Athènes dénonçaient hautement que les fortifications se poursuivaient et que déjà la muraille gagnait en hauteur ; on n’avait aucun motif pour se refuser à les croire. Thémistocle, instruit de ces rapports, invita les Lacédémoniens à ne pas se laisser abuser par de vaines paroles, mais à députer plutôt quelques-uns des leurs, des hommes probes et véridiques, qui rapporteraient fidèlement ce qu’ils auraient vu. On les expédia. De son côté, il informa les Athéniens de cette députation par un avis secret, et leur recommanda de retenir les envoyés le moins ostensiblement possible, mais de ne pas les laisser aller avant qu’ils fussent eux-mêmes de retour ; car ses collègues, Abronichus, fils de Lysiclès, et Aristide, fils de Lysimaque, étaient enfin arrivés, lui annonçant que la muraille avait une hauteur suffisante. Il craignait que les Lacédémoniens, une fois instruits de la vérité, ne voulussent plus les laisser partir. Les Athéniens retinrent les envoyés, conformé- ment à ses prescriptions. Alors Thémistocle se présenta devant les Lacédémoniens ; il déclara qu’Athènes était entourée de murs et pouvait désormais pourvoir à la sûreté de ses habitants ; que si les Lacédémoniens ou leurs alliés voulaient y envoyer quelque ambassade, ils auraient à traiter maintenant avec des hommes connaissant et leurs propres intérêts et ceux de la Grèce ; que, quand ils avaient cru nécessaire d’abandonner leur ville et de monter sur leurs vaisseaux, ils avaient su prendre, sans les Lacédémoniens, cette au- dacieuse résolution ; qu’enfin, dans toutes les affaires où ils s’étaient consultés avec les Lacédémoniens, ils ne s’étaient montrés inférieurs à personne pour la sagesse des résolutions ; qu’il leur semblait utile actuellement de fortifier leur ville, et que l’intérêt des habitants était, en cela, d’accord avec celui de tous les alliés ; qu’en effet il était impossible, s’il n’y avait entre les parties contractantes parité de situation et de forces, qu’on prît de concert et sur le pied de l’égalité des mesures analogues dans l’intérêt commun. Il fallait donc, disait-il, ou qu’aucun des confédérés n’eût de fortifications, ou qu’on approuvât ce qu’avaient fait les Athéniens. XCII. Les Lacédémoniens, à ce discours, ne témoignèrent ouvertement aucun ressentiment contre les Athéniens, car ils n’avaient pas prétendu intimer une défense ; c’était seulement pour donner un conseil, dans l’intérêt commun, qu’ils avaient envoyé une députation ; d’ailleurs, ils témoignaient alors beaucoup de bienveillance aux Athéniens, surtout en raison de leur dévouement contre les Mèdes. Ils n’en éprouvèrent pas moins un secret dépit d’avoir manqué leur but. Quant aux députés, ils se retirèrent de part et d’autre sans récriminer. XCIII. C’est ainsi que les Athéniens fortifièrent leur ville en peu de temps ; aussi reconnaît-on, aujourd’hui encore, que les constructions furent élevées à la hâte : les fondements sont formés de pierres non ap- pareillées, souvent tout à fait brutes, et jetées là au hasard, comme on les apportait ; on trouve même des cippes funéraires et des sculptures mêlés à la maçonnerie. Cela tient à ce que l’enceinte de la ville fut agrandie dans tous les sens et que, dans la précipitation du moment, on mettait tout en oeuvre indistinctement. Thémistocle persuada aussi de compléter les constructions du Pirée , commencées précédemment, l’année de son archontat 403 av. J-C. ; quatrième année de la LXXI olympiade. . Le Pirée, avec ses trois ports naturels, lui paraissait d’une grande importance ; car il pensait que les Athéniens trouveraient dans la marine, s’ils s’y adonnaient, de grandes res- sources pour l’accroissement de leur puissance. Il osa le premier dire qu’ils devaient s’adonner à la mer, et tout d’abord il leur en prépara l’empire. C’est d’après ses conseils qu’on donna aux murs qui entourent le Pirée la largeur qu’on leur voit encore aujourd’hui. Deux chariots de pierres y passaient aisément en se croisant. A l’intérieur, il n’y avait ni moellon ni mortier ; il n’entrait dans les constructions que d’énormes blocs de pierre, taillés à angles droits et reliés entre eux extérieurement avec du fer et du plomb. Ils ne furent élevés qu’à la moitié de la hauteur qu’il avait projetée ; car il voulait que leur élévation et leur épaisseur pussent décourager toutes les tentatives des ennemis, et, dans sa pensée, un petit nombre d’hommes, même des moins valides, devaient suffire à les garder, pendant que les autres monteraient sur les vaisseaux. S’il se préoccupait surtout de la marine, c’était dans cette pensée, ce me semble, qu’il serait plus facile à l’armée du roi d’envahir l’Attique par mer que par terre. Le Pirée lui semblait d’ailleurs plus important que la ville haute ; et, bien des fois, il conseilla aux Athéniens, si jamais ils étaient forcés par terre, de descendre au Pirée et d’y lutter sur leurs vaisseaux contre tous leurs ennemis. C’est ainsi que les Athéniens fortifièrent leur ville et firent toutes leurs dispositions, immédiatement après la retraite des Mèdes. XCIV. Cependant Pausanias, fils de Cléombrote, avait été envoyé de Lacédémone, pour commander les Grecs, à la tête de vingt vaisseaux du Péloponnèse. Les Athéniens naviguèrent de conserve avec trente vais- seaux ; un grand nombre d’alliés les suivaient. Ils se portèrent contre Cypre, qu’ils soumirent en grande partie ; puis ils allèrent, toujours sous le même commandement, assiéger Byzance occupée par les Mèdes, et s’en emparèrent Cette expédition eut lieu de 476 à 474 av. J.-C. . XCV. Mais déjà la dureté de Pausanias commençait à peser aux Grecs Plutarque parle à plusieurs reprises (Vies de Cicéron et d’Aristide) des violences de Pausanias. Il allait jusqu’à frapper les chefs des nations alliées et à leur infliger des punitions dérisoires. particulièrement aux Ioniens et à tous ceux qui s’étaient récemment soustraits à la domination du roi Cette défection avait eu lieu l’année des combats de Mycale et de Platée (479 av. J.-C). . Ils allèrent trouver les Athéniens, et les prièrent, au nom de leur commune origine Parmi ces nouveaux alliés, Plutarque cite en première ligne les habitants de Chio, Samos et Lesbos. , de se mettre à leur tête, et de les protéger au besoin contre les violences de Pausanias. Les Athéniens accueillirent cette demande et leur témoignèrent les meilleures dispositions, s’engageant à leur donner l’appui qu’ils réclamaient, et à prendre sur tout le reste les mesures qu'ils jugeraient les meilleures. Sur ces entrefaites les Lacédémoniens rappelèrent Pausanias pour le juger sur les faits venus à leur connaissance Suivant Diodore de Sicile ( xi , 44) ce furent les Péloponnésiens placés sous les ordres de Pausanias qui l’envoyèrent accuser à Sparte. . Les Grecs qui venaient à Lacédemone se plaignaient vivement de ses injustices ; dans son commandement il agissait plutôt en tyran qu’en général. Il fut donc rappelé au moment même où, en haine de lui, tous les alliés, à l’exception des soldats du Péloponnèse, se rangeaient sous les ordres des Athéniens 470 ou 471 av. J.-C. . Arrivé à Lacédémone, il fut condamné pour violences envers des particuliers, mais absous sur les faits capitaux. Et pourtant on l’accusait surtout de médisme Trahison, intelligence avec les Mèdes. Cette accusation fut plus tard renouvelée, et Pausanias périt misérablement (V. plus bas i , 128.). et le reproche paraissait fondé. Le com- mandement ne lui fut pas rendu ; on envoya à sa place Dorcis et quelques collègues, à la tête d’une armée peu nombreuse. Mais les alliés refusèrent de se placer sous leurs ordres ; ils se retirèrent alors et ne furent pas remplacés. Les Lacédémoniens craignaient qu’au dehors leurs généraux ne se corrompissent, comme il était arrivé pour Pausanias « La détermination de Sparte parut étrange : Voyant que « leurs généraux se laissaient corrompre par ce pouvoir si consi- « dérable, ils cessèrent d’envoyer des généraux, préférant au « commandement de toute la Grèce des citoyens vertueux et le « maintien des anciennes moeurs » ( Plut. , Arist. , 23.). . D’ailleurs, ils voulaient se débarrasser de la guerre médique ; ils croyaient les Athéniens en état de la conduire et étaient à cette époque en bons rapports avec eux. XCVI. Les Athéniens, investis ainsi du commandement que les alliés leur avaient déféré en haine de Pausanias, fixèrent l’apport de chaque ville La répartition fut faite par Aristide. dans la lutte contre le Barbare ; aux uns ils demandèrent de l’argent, aux autres des vaisseaux. Le prétexte était de ravager les terres du Roi, en représailles de ce qu’on avait souffert. C’est alors que fut instituée chez les Athéniens la magistrature des Hellénotames, chargés de percevoir le Phoros C’est-à-dire apport , la contribution pour la guerre médique. . On désignait sous ce nom la contribution en argent. Le premier Phoros fut fixé à quatre cent soixante talents. Le trésor était déposé à Délos, et les assemblées se tenaient dans le temple. XCVII. Commandant à des alliés d’abord indépendants et admis à délibérer dans les assemblées communes, les Athéniens accrurent leur puissance et par les armes et par le maniement des affaires, dans l’in- tervalle qui sépare la guerre rnédique de celle-ci. Voici le précis de ces accroissements successifs, au milieu de leurs démêlés soit avec les barbares et avec leurs alliés révoltés, soit avec les peuples du Péloponnèse, toujours mêlés, l’un ou l’autre, à ces querelles. Je me suis permis une digression Cette digression, destinée à combler une importante lacune historique, comprend un espace de 47 ans (478-432). à ce sujet, parce que tous ceux qui m’ont précédé ont négligé cette partie, pour se borner à l’histoire de la Grèce avant la guerre médique, ou à la guerre médique elle-même. Le seul qui ait touché ce point, Hellanicus Hellanicus était né quelques années avant Hérodote ; ses écrits ont péri ; il n’en reste que des fragments insignifiants. , dans son histoire de l’Attique, l’a traité brièvement et laisse à désirer pour l’exactitudé chronologique. C’est d’ailleurs par ces faits qu’on peut voir comment s’est établie la domination athénienne. XCVIII. D’abord, sous le commandement de Cimon, fils de Miltiade, ils assiégèrent Eion, place occupée par les Mèdes, sur le Strymon En Thrace, à l’embouchure du Strymon ; c’était le port d’Amphipolis. , la prirent et réduisirent les habitants en esclavage. Scyros, île de la mer Égée, habitée par les Dolopes Les Dolopes étaient adonnés à la piraterie ; ils pillaient et massacraient tous les étrangers qui abordaient sur leurs côtes. , éprouva ensuite le même sort et reçut une colonie athénienne. Ils firent aussi la guerre aux Carystiens C’était le seul peuple de l’Eubée qui ne fût pas soumis aux Athéniens. ; le reste de l’Eubéen’y prit aucune part, et, au bout quelque temps, les hostilités finirent par une convention. Vint ensuite la défection des Craniens, qu’ils attaquèrent et réduisirent à la suite d’un siége. Ce fut le premier peuple qui, contrairement au droit commun, passa de la condition d’allié à celle de sujet. Plus tard beaucoup d’autres eurent successivement le même sort. XCIX. Les motifs de défection ne manquaient pas ; au premier rang étaient le défaut de paiement des redevances en argent et en vaisseaux et le refus de service ; car les Athéniens agissaient avec rigueur et excitaient des mécontentements par l’imposition forcée de charges qu’on n’avait ni l’habitude ni la volonté de supporter. Sous bien d’autres rapports leur domination s’était appesantie La suite du récit offrira de nombreux exemples de cette dureté attestée par tous les historiens. Les Athéniens, avec leurs moeurs élégantes et légères, étaient pour leurs alliés des tyrans sans pitié. : dans les expéditions communes, ils ne traitaient plus les alliés sur le pied de l’égalité ; et d’ailleurs, il leur était devenu facile de réduire ceux qui les abandonnaient. La faute en était aux alliés eux-mêmes ; car, par suite de leur répugnance pour le service militaire, la plupart d’entre eux, pour ne pas quitter leurs foyers, stipulaient une redevance en argent, équivalente au contingent de vaisseaux auquel ils étaient tenus. La marine athénienne s’accroissait de leur contribution, et ensuite, lorsqu’euxmêmes tentaient quelque défection, ils s’engageaient dans la guerre sans préparatifs et sans expérience. C. Les Athéniens, assistés de leurs alliés, combattirent ensuite les Mèdes sur terre et sur mer, près du fleuve Eurymédon Vers 466 av. J.-C. , en Pamphilie. Vainqueurs le même jour dans les deux affaires, sous le commandement de Cimon, fils de Miltiade, ils prirent aux Phéniciens ou détruisirent deux cents galères. Quelque temps On s’accorde à rapporter cette défection à l’an 465 av. J.-C. après, les Thasiens se détachèrent de leur alliance, à propos de démêlés relatifs aux comptoirs et aux mines qu’ils exploitaient sur la côte de Thrace, en face de Thasos. Les Athéniens envoyèrent une flotte contre Thasos, remportèrent une victoire navale et firent une descente dans l’île. Vers le même temps ils envoyèrent dix mille colons, tant des leurs que des alliés, occuper, sur les bords du Strymon, le lieu appelé alors les Neuf-Voies, et maintenant Amphipolis. Après s’être emparés des Neuf-Voies sur les Édoniens, ils s’avançaient vers l'intérieur Sous la conduite de Léagros et de Sophanès (Hérod. ix , 75).— On comprend difficilement que les Athéniens se soient ainsi avancés dans l’intérieur jusqu’à Drabisque, à moins que ce ne fût pour prévenir les attaques des Édoniens, ou pour soumettre toute la région des mines. , lorsque tous les Thraces Diodore ( xii , 68) et Pausanias disent, au contraire, qu’ils furent anéantis par les Édoniens seuls. , également inquiets de la fortification des Neuf-Voies, se réunirent et les anéantirent à Dra- bisque, en Édonie 463 av. J.-C. L’Édonie confinait à la Thrace et était comprise entre le Strymon et le Nestus. . CI. Les Thasiens, vaincus et assiégés, se tournèrent vers les Lacédémoniens et les prièrent de leur venir en aide par une diversion sur l’Attique. Les Lacédémoniens s’y engagèrent, à l’insu des Athéniens ; ils allaient agir, lorsqu’ils en furent détournés par le tremblement de terre Ce tremblement de terre eut lieu 445 ans av. J.-C. Il fit périr vingt mille Lacédémoniens (Diodore xii , 63 ) et renversa toute la ville, à l’exception de cinq maisons. (Plut. Cim.) qui eut lieu à cette époque. Les Hilotes Les Hilotes étaient les habitants d’Hélos, réduits à l’esclavage le plus abject après la prise de leur ville par les Lacédémoniens, en 1059. On désignait également sous ce nom les Messéniens réduits aussi en servitude. profitèrent de cette occasion, ainsi que les Thuriates Thuria était située près de l’embouchure du Pamisus, et Ithome à peu de distance à l’est de Messène. et les Éthéens, voisins des Lacédémoniens, pour se soulever et s’enfermer à Ithome. La plupart des Hilolcs descendaient des anciens Messéniens réduits jadis en servitude, ce qui leur faisait donner à tous le nom de Messéniens Cette guerre fut même nommée, pour ce motif, troisième guerre de Messénie. . Les Lacédémoniens eurent donc une guerre à soutenir contre les révoltés d’Ithome. Quant aux Thasiens, après trois ans de siége, ils capitulèrent, rasèrent leurs fortifications, livrèrent aux Athéniens leurs vaisseaux, se soumirent à payer la somme à laquelle ils furent taxés et pour le présent et pour l’avenir, et enfin renoncèrent à toute prétention sur le continent et les mines. CII. Les Lacédémoniens, voyant se prolonger la guerre contre les révoltés d’Ithome, eurent recours à leurs alliés et aux Athéniens. Ces derniers vinrent en grand nombre, sous les ordres de Cimon. On les avait appelés surtout à cause de leur réputation d’habileté dans l’art des siéges ; mais, les opérations ayant continué à traîner en longueur, cette habileté parut en défaut ; car ils auraient dû emporter la place. C’est à propos de cette expédition que se manifesta pour la première fois la mésintelligence entre les Lacédémoniens et les Athéniens. Les Lacédémoniens, voyant que la ville n'était pas enlevée de vive force, s’inquiétèrent de l’audace et de l’esprit remuant des Athéniens Diodore ( xi , 64) dit aussi que les Lacédémoniens craignaient de les voir passer du côté des Messéniens. ; ils les regardaient comme d’une autre race qu’eux et craignaient, si leur séjour devant Ithome se prolongeait, que leur fidélité ne fût pas à l’abri des suggestions des assiégés. Aussi, de tous leurs alliés, ils congédièrent les Athéniens seuls, sous prétexte qu’ils n’avaient plus besoin d’eux ; mais sans leur témoigner cependant aucun soupçon. Néanmoins, les Athéniens comprirent que le prétexte assigné à leur renvoi n’était pas sérieux et qu’il était survenu quelque défiance. Ils s’indignèrent et résolurent de ne point tolérer une pareille offense de la part des Lacédémoniens. Dès qu’ils se furent retirés, ils renoncèrent à l’alliance contractée avec eux contre les Mèdes, et en formèrent une nouvelle avec les Argiens, ennemis de Lacédémone Cimon, qui avait conseillé cette expédition en faveur des Lacédémoniens, fut banni par l’ostracisme. . Les Thessaliens entrèrent aussi dans la même ligue et se lièrent à chacun des deux peuples par les mêmes serments. CIII. Après dix ans de siége, ceux d’Ithome, à bout de ressources, capitulèrent avec les Lacédémoniens 455 av. J.-C. . Les conditions étaient qu’ils sortiraient du Péloponnèse sous la foi des traités et n’y rentreraient jamais ; que si quelqu’un d’eux y était surpris, il serait esclave de celui qui l’aurait arrêté. Un oracle de la pythie avait précédemment ordonné aux Lacédémoniens de laisser aller le suppliant de Jupiter Ithoméen. Ils sortirent donc avec leurs enfants et leurs femmes ; les Athéniens, en haine des Lacédémoniens, les accueillirent et les établirent à Naupacte Aujourd’hui Lépante. La ville fut reprise à la fin de la guerre par les Lacédémoniens qui en chassèrent les Messéniens. qu’ils venaient de prendre récemment sur les Locriens Ozoles. Les Mégariens vinrent aussi se joindre aux Athéniens ; ils s’étaient séparés des Lacédémoniens, parce que les Corinthiens leur faisaient la guerre pour une question de limites. Les Athéniens occupèrent Mégare et Pèges ; ils construisirent chez les Mégariens les longs murs ; qui s’étendent de la ville à Nisée Nisée, à huit stades de Mégare, sur le golfe Saronique, était le port de cette ville. , et en prirent eux-mêmes la garde. C’est surtout de là que date la haine violente des Corinthiens contre les Athéniens. CIV. Cependant, Inarus de Libye, fils de Psammétique, roi des Libyens qui continent à LÉgypte, partit de Marée Marée, bourg à peu de distance d’Alexandrie, sur le bras Canopique, a donné son nom au lac Maréotis. Pharos, petite île, à l’embouchure du bras Canopique, fut plus lard jointe au continent. , ville au-dessus de Pharos, et fit soulever la plus grande partie de l’Égypte contre le roi Artaxer- xès Artaxerxès-Longuemain qui régna de 467 à 425. L’expédition athénienne eut lieu vers 460. . Investi lui-même du commandement, il appela les Athéniens. Ceux-ci faisaient alors une expédition contre Cypre, avec deux cents vaisseaux tant d’Athènes que des alliés. Ils quittèrent Cypre à cet appel, remontèrent le Nil, et, maîtres du cours du fleuve, ainsi que des deux tiers de Memphis, ils assiégèrent la partie restée libre et qu’on appelait le Mur-Blanc. Là s’étaient réfugiés des Perses, des Mèdes et ceux des Égyptiens qui n’avaient pas pris part à la révolte. CV. Les Athéniens, ayant fait une descente à Halies Petite ville de l’Argolide, non loin de Trézène. , attaquèrent les Corinthiens et les Épidauriens. Les Corinthiens furent vainqueurs. Plus tard les Athéniens livrèrent un combat naval aux Péloponnésiens, à la hauteur de Cécryphalie Ile au N.O. d’Égine, dans le golfe Saronique. et vainquirent à leur tour. Survint ensuite une guerre entre les Eginètes et les Athéniens. Une grande bataille navale se livra entre eux près d’Égine ; les uns et les autres étaient assistés de leurs alliés. Les Athéniens, commandés par Léocrate, fils de Stroebus, furent vainqueurs ; ils prirent soixante-dix vaisseaux, descendirent à terre et assiégèrent la ville. Les Lacédémoniens, voulant secourir les Éginètes, leur firent passer trois cents hoplites qui avaient précédemment servi comme auxiliaires avec les Corinthiens et les Épidauriens. En même temps ils occupèrent les hauteurs de Géranie Promontoire de la Mégaride. , pendant que les Corinthiens et les alliés descendaient dans la Mégaride·, ils espéraient que les Athéniens, ayant une grande partie de leur armée occupée ailleurs, à Égine et en Égypte, seraient dans l’impossibilité de secourir les Mégariens, ou que, s’ils le faisaient, il leur faudrait abandonner Égine. Mais le corps expéditionnaire d’Égine ne fit aucun mouvement ; les Athéniens envoyèrent à Mégare, sous la conduite de Myronidès, les plus âgés et les plus jeunes des citoyens restés à Athènes·, une bataille qu’ils livrèrent aux Corinthiens resta indécise, et les deux partis se séparèrent, prétendant, chacun de leur côté, n’avoir pas eu le dessous. Cependant les Corinthiens se retirèrent, et les Athéniens, qui avaient plutôt eu l’avantage, élevèrent un trophée. Mais les Corinthiens, traités de lâches à leur retour par les vieillards qui étaient restés à la ville, se préparèrent pendant douze jours entiers et revinrent élever un trophée de victoire en face de celui des Athéniens. Les Athéniens accoururent alors de Mégare, tuèrent ceux qui érigeaient le trophée, attaquèrent ensuite les autres et les mirent en déroute. CVI. Les Corinthiens vaincus battirent en retraite. Un corps assez considérable d’entre eux, vivement poussé, se trompa de route et tomba dans une propriété particulière, entourée d’un large fossé, et sans issue. Les Athéniens s’en aperçurent, firent face à l’entrée avec des hoplites, entourèrent l’enceinte de troupes légères et lapidèrent tous ceux qui s’y étaient engagés. Ce fut un grand désastre pour les Corinthiens. Le gros de leur armée regagna le pays. CVII. Vers cette époque 457 av. notre ère. les Athéniens commencèrent la construction des longs murs, qui s’étendent jusqu’à la mer, dans la direction de Phalère et du Pirée. Les Phocéens firent une expédition contre la Doride Au nord-ouest de la Phocide, près du mont oeta. , métropole des Lacédémoniens ; ils attaquèrent Boeon, Cytinion, Erinéos, et prirent une de ces petites places. Les Lacédémoniens, sous la conduite de Nicomède, fils de Cléombrote, qui commandait à la place du roi Plistoanax, fils de Pausanias, trop jeune encore, se portèrent au secours des Doriens, avec quinze cents de leurs hoplites et dix mille des alliés. Ils forcèrent les Phocéens à rendre la ville par capitulation, et se retirèrent. Mais la difficulté était de rentrer chez eux ; s'ils voulaient prendre la mer et traverser le golfe de Crisa, ils devaient trouver en croisière la flotte athénienne qui leur barrait le passage. Par Géranie, la route ne leur paraissait pas sûre, les Athéniens étant maîtres de Mégare et de Pèges. D’ailleurs, indépendamment des difficultés de cette route, les issues étaient constamment gardées par les Athéniens ; les Lacédémoniens sentaient bien qu’en cette circonstance le passage de ce côté leur serait aussi disputé. Ils crurent donc devoir s’arrêter en Béotie, pour considérer à loisir quel serait le moyen le plus sûr d’opérer leur retraite. En prenant ce parti, ils avaient aussi cédé un peu aux instigations secrètes de quelques Athéniens qui espéraient détruire la démocratie et empêcher la construction des longs murs3. Les Athéniens en masse se portèrent contre L’aristocratie voyait avec inquiétude l’accroissement de la marine, qui déplaçait sans cesse les fortunes et favorisait par là les développements de la démocratie. C’était elle qui appelait les Lacédémoniens. eux, assistés de mille Argiens et des divers contingents des alliés, en tout quatorze mille hommes ; ce qui les détermina à cette expédition fut l’embarras dans lequel ils supposaient les Lacédémoniens pour opérer leur retraite, et aussi quelque soupçon de ce qui se tramait contre la démocratie. Un corps de cavalerie thessalienne marchait avec eux, conformément au traité Le traité dont il a été question au chap. cii . ; mais, pendant l’action, il passa aux Lacédémoniens. CVIII. Le combat se livra à Tanagre 457 av. J.-C. , en Béotie. La victoire resta aux Lacédémoniens et à leurs alliés ; mais il y eut de part et d’autre un grand carnage. Les Lacédémoniens pénétrèrent dans la Mégaride, coupèrent les arbres, et rentrèrent chez eux par Géranie et l'isthme. Soixante-deux jours après ce combat, les Athéniens, sous la conduite de Myronidès, allèrent attaquer les Béotiens, les battirent à oenophytis A peu de distance de Tanagre, sur l’Asopus. , et soumirent la Béotie, ainsi que la Phocide. Ils rasèrent les fortifications de Tanagre, et prirent chez les Locriens d’Oponte cent otages, choisis parmi les plus riches citoyens. Enfin ils terminèrent chez eux la construction des longs murs. Vint ensuite la capitulation des Éginètes. Ils se rendirent aux Athéniens La quatrième année de la quatre-vingtième olympiade. 456 av. J.-C. , rasèrent leurs murailles, livrèrent leurs vaisseaux, et se soumirent pour l'avenir à un tribut déterminé. Les Athéniens firent avec leur flotte le tour du Péloponnèse, sous le commandement de Tolmidès, fils de Tolmæus ; ils brûlèrent le chantier maritime des Lacédémoniens Gythium, au nord du Péloponnèse, sur le golfe de Laconie. , prirent Chalcis, ville dépendante de Corinthe, descendirent à terre et battirent les Sicyoniens. CIX. Les Athéniens et les alliés qui se trouvaient en Égypte s’y étaient maintenus ; mais la guerre avait eu pour eux bien des alternatives ; d’abord ils s’étaient emparés de l’Égypte. Le roi Ces mots désignent toujours le Grand Roi, le roi de Perse. avait envoyé alors à Lacédémone le Perse Mégabaze, avec de l’argent, pour déterminer les Péloponnésiens à envahir l’Attique, et forcer ainsi les Athéniens à évacuer l’Égypte ; mais l’affaire échoua : Mégabaze, voyant que l’argent était dépensé en pure perte, retourna en Asie avec le reste de ses trésors. Le Perse Mégabyse, fils de Zopyre Celui dont Hérodote raconte la mutilation volontaire ( iii , 160). , fut alors envoyé en Égypte à la tête d’une nombreuse armée ; il arriva par terre, vainquit dans un combat les Égyptiens et leurs alliés, chassa les Grecs de Memphis et finit par les enfermer dans l’île de Prosopitès Dans le Delta. . Après les y avoir assiégés dix-huit mois, il dessécha le lit du fleuve en détournant les eaux, mit les vaisseaux à sec et joignit la plus grande partie de l’île au continent ; il y passa alors à pied et s’en empara. CX. Ainsi furent ruinées les affaires des Grecs, après six ans de guerre. De cette nombreuse année, bien peu d’hommes purent se sauver à Cyrène, en traversant la Libye. La plupart périrent. L’Égypte rentra sous la do- mination du roi, à l’exception du marais Partie du Delta, comprise entre les bouches Bolbitique et Sébennitiquc. où régnait Amyrtée. Il échappa à toutes les poursuites, grâce à l’étendue du marais et au courage des habitants, les plus belliqueux des Egyptiens. Quant à Inarus, roi des Libyens, cause de tout ce trouble en Égypte, il fut pris par trahison et mis en croix. Cinquante trirèmes d’Athènes et des alliés, envoyées en Égypte pour relever les premières, abordèrent à l’embouchure du Nil nommée Mendésienne, sans rien savoir de ce qui s’était passé. Un corps d’infanterie les attaqua par terre, et la flotte phénicienne par la mer ; la plupart des vaisseaux furent détruits ; très peu parvinrent à s’échapper. Ainsi se termina cette grande expédition des Athéniens et de leurs alliés en Égypte 457 av. J.-C. – Le récit de Diodore ( xi , 77) est tout different. Les Athéniens, abandonnés par les Égyptiens leurs alliés, ne perdirent cependant pas courage ; ils brûlèrent leurs vaisseaux, et s’engagèrent mutuellement à se défendre jusqu’à la dernière extrémité ; aussi les Perses, voyant qu’ils ne pourraient les vaincre sans une perte considérable, leur accordèrent une capitulation, aux termes de laquelle ils quittèrent l’Égypte et se rendirent à Cyrène, où ils s’embarquèrent pour Athènes. . CXI. Oreste, fils d’Échécratidès, roi des Thessaliens, chassé du trône, persuada aux Athéniens de l’y rétablir. Ils prirent avec eux les Béotiens et les Phocéens, leurs alliés, et marchèrent contre Pharsale, en Thessalie ; mais, contenus par la cavalerie thessalienne, ils ne furent jamais maîtres que du terrain qu’ils occupaient, sans pouvoir s’éloigner de leur camp. N’ayant pu ni prendre la ville, ni réaliser en rien l’objet de leur expédition, ils s'en retournèrent sans avoir rien fait et ramenèrent Oreste avec eux Diodore ( xi , 83) raconte les mêmes événements, et ajoute que le principal motif des Athéniens était de se venger de la trahison des Thessaliens à Tanagre. . Peu de temps après, mille Athéniens s’embarquèrent à Pèges, place en leur pouvoir, et longèrent la côte jusqu’à Sicyone, sous le commandement de Périclès, fils de Xanthippe. Ils firent une descente et battirent ceux des Sicyoniens qui en vinrent aux mains avec eux Plutarque (Péricl.) raconte ces faits avec beaucoup plus de détails. C’est à Némée, assez avant dans les terres, que Périclès alla attaquer les Sicyoniens ; il les battit et éleva un trophée. ; aussitôt après ils s’adjoignirent les Achéens et traversèrent le golfe pour aller, sur la côte opposée, attaquer oeniades Sur le fleuve Achéloüs. , en Acarnanie. Mais, après un siége inutile, ils renoncèrent à cette entreprise et retournèrent chez eux. CXII. Trois ans après ces événements 450 av. J.-C. , une trêve de cinq ans fut conclue entre les Péloponnésiens et les Athéniens. Ceux-ci, en paix dès lors avec la Grèce, envoyèrent contre Cyprc deux cents vaisseaux, tant d’Athènes que des alliés, sous le commandement de Cimon. Soixante vaisseaux furent détachés de cette flotte vers l’Égypte, à la demande d’Amyrtée, ce roi du marais dont j’ai parlé. Les autres assiégèrent Cilium. Mais Cimon mourut ; la famine survint ; ils levèrent le siége de Citium et repartirent Le récit de Diodore est tout à fait différent. (Voy. xii , 4.) Les Athéniens se seraient emparés de Cypre et seraient revenus vainqueurs après la mort de Cimon. . En passant au-dessus de Salamine, en Cypre, ils rencontrèrent les Phéniciens et les Ciliciens, les combattirent en même temps sur terre et sur mer et remportèrent une double victoire. Après ce succès, ils rentrèrent au port. Les autres vaisseaux partis en même temps et détachés vers l’Égypte rentrèrent également. Les Lacédémoniens firent ensuite 448 av. J.-C. l’expédition qui a reçu le nom de Guerre sacrée ; ils s’emparèrent du temple, de Delphes et le remirent aux Delphiens ; mais, après leur départ, les Athéniens l’attaquèrent à leur tour, s’en rendirent maîtres, et le confièrent aux Phocéens. CXIII. Quelque temps après eut lieu l’expédition des Athéniens en Béotie. Les exilés béotiens occupaient Orchomène, Chéronée et quelques autres places de la Béotie. Les Athéniens, fatigués de l'hostilité de ces villes, envoyèrent contre elles mille de leurs hoplites et les contingents de chacun des alliés, sous le commandement de Tolmidès, fils de Tolmæus. Ils prirent Chéronée, réduisirent les habitants en servitude, et se retirèrent après y avoir mis garnison. Mais en traver- sant le territoire de Coronée ils furent assaillis par les exilés béotiens d’Orchomène Sous la conduite de Sparton (Plut. Agésil.). Ce combat fut livré 447 av. J.-C. assistés des Locriens, des fugitifs de l’Eubée et de tous ceux qui avaient contre eux les mêmes griefs. Ceux-ci furent vainqueurs, tuèrent une partie des Athéniens et firent les autres prisonniers. Les Athéniens durent abandonner par un traité la Béotie tout entière, à la condition qu’on leur rendrait leurs prisonniers. Les exilés béotiens et tous les autres rentrèrent et recouvrèrent leur indépendance. CXIV. Peu après, l’Eubée se détacha des Athéniens L’an 446 (3 e année de la LXXXIII e olymp. suivant Diodore). . Déjà Périclès y était passé avec une armée athénienne, lorsqu'on lui annonça que Mégare venait de faire défection , que les Péloponnésiens allaient envahir l’Attique, et que les Mégariens avaient massacré la garnison athénienne, à part ce qui avait pu se réfugier à Nisée. En même temps les Mégariens avaient appelé à leur secours les Corinthiens, les Sicyoniens et les Épidauriens. Périclès ramena en toute hâte son armée de l’Eubée. Néanmoins les Péloponnésiens envahirent l’Attique, sous le commandement de Plistoanax, fils de Pausanias, roi des Lacédémoniens, et s’avancèrent jusqu’à Éleusis et à la plaine de Thria On suppose que cette plaine était située entre Éleusis, Éleuthère et Acharné. , qu’ils ravagèrent. Ils s’arrê- tèrent là et rentrèrent chez eux Flutarque (Péricl.) dit que Périclès corrompit Plistoanax et Cléandridas son conseiller, et acheta la retraite des Péloponnésiens. . Les Athéniens alors repassèrent en Eubée , sous la conduite de Périclès, et la soumirent tout entière. Ils admirent tous les habitants à composition, excepté ceux d’Hestiée, qu’ils chassèrent, et dont ils occupèrent eux-mêmes le pays. CXV. Peu après leur retour d’Eubée ils firent avec les Lacédémoniens et leurs alliés une trêve de trente ans 445 av. J.-C. Une colonne avait été élevée à Olympie, devant la statue de Jupiter, et on y avait inscrit les conditions de la trève. et rendirent Nisée, Pèges, Trézène et l’Achaïe ; c’était tout ce qu’ils avaient conquis sur les Péloponnésiens. Six ans plus tard la guerre éclata entre les Samiens et les Milésiens, au sujet de Priène A propos de la délimitation des frontières, sur les rives du Méandre. Les Athéniens commencèrent par se poser en arbitres du différend, et, sur le refus des Samiens d’accepter l’arbitrage, ils marchèrent contre eux (Plut. Péricl.). . Les Milésiens, ayant eu le dessous, vinrent à Athènes récriminer contre les Samiens. Ils avaient pris avec eux quelques particuliers de Samos qui aspiraient à changer la forme du gouvernement. Les Athéniens mirent à la voile pour Samos, avec quarante vaisseaux, et y établirent la démocratie ; ils prirent en otages cinquante enfants samiens et autant d’hommes faits, qu’ils déposèrent à Lemnos ; puis ils mirent garnison dans l’ile et se retirèrent. Cependant quelques-uns des Samiens qui avaient quitté l’ile pour se réfugier sur le continent se liguèrent avec les plus puissants de ceux qui étaient restés dans la ville, et avec Pissythnès, fils d’Hystaspe, alors gouverneur de Sardes. Ils réunirent sept cents hommes de troupes auxiliaires et passèrent de nuit à Samos. D’abord ils se portèrent contre les chefs du parti populaire, qu’ils saisirent pour la plupart. Ils allèrent ensuite enlever furtivement leurs otages de Lemnos, rompirent avec Athènes, livrèrent à Pissythnès la garnison athénienne , ainsi que les chefs qui étaient entre leurs mains, et se disposèrent aussitôt à attaquer Milet. Les Byzantins entrèrent aussi dans leur défection. CXVI. A cette nouvelle, les Athéniens firent voile pour Samos avec soixante vaisseaux. Seize de ces bâtiments ne prirent point part aux opérations, ayant été détachés les uns sur les côtes de Carie pour observer la flotte phénicienne, les autres à Chio et à Lesbos pour demander des secours. Ce fut donc avec quarantequatre vaisseaux que les Athéniens, commandés par Périclès et neuf autres généraux Un grand nombre d’auteurs anciens mettent Sophocle, le poëte tragique, au nombre de ces neuf généraux. attaquèrent, près de l’ile de Tragie Petite île, près de Samos. soixante-dix vaisseaux samiens, dont vingt portaient des soldats. Cette flotte revenait alors de Milet. Les Athéniens furent victorieux ; plus tard, renforcés par quarante vaisseaux d’Athènes et par vingt-cinq de Chio et de Lesbos, ils descendirent à terre, furent encore vainqueurs et investirent la ville sur trois côtés au moyen d’une contre-enceinte ; le quatrième était fermé par leur flotte. Périclès prit alors soixante vaisseaux qui faisaient le siége, et, sur l’avis que la flotte phénicienne s’avançait, il se porta rapidement vers Cannes Cannes était au sud de la Carie, en face de Rhodes. et la Carie. Car déjà Stésagoras et d’autres Samiens étaient parvenus à sor- tir, avec cinq vaisseaux, pour aller à la rencontre des Phéniciens Les Phéniciens, sujets du roi de Perse, combattent ici pour son compte. . CXVII. Pendant ce temps les Samiens, étant sortis du port à l’improviste, tombèrent sur le mouillage ennemi, que rien ne protégeait, détruisirent les bàtiments d’avant-garde, battirent les vaisseaux qui vinrent à leur rencontre et restèrent, quatorze jours durant, maîtres de la mer qui baigne Samos Les Samiens étaient commandés, dans cette action, par le philosophe Mélissus (Plut. Péricl.). . Ils en pro- fitèrent pour faire entrer et sortir tout ce qu’ils voulurent. Mais, au retour de Périclès, ils se virent de nouveau bloqués par la flotte. Il arriva ensuite d’Athènes quarante vaisseaux de renfort sous le commandement de Thucydide Thucydide, fils de Mélésias d’Alopèce, n’est pas le même que notre historien ; c’est l’adversaire de Périclès, cité par Plutarque, le chef de l’aristocratie. d’Agnon et de Phormion ; vingt aux ordres de Tleptolème et d’Anticlès ; enfin trente de Chio et de Lesbos. Les Samiens tentèrent un combat de mer, mais ils ne tinrent pas longtemps ; réduits bientôt à l'impossibilité de résister, ils capitulèrent après neuf mois de siége et se soumirent aux conditions suivantes : ils rasèrent leurs murailles, livrèrent des otages et leurs vaisseaux, et s’engagèrent à payer, à des échéances déterminées, les frais de la guerre Deux cents talents, suivant Diodore ( xii , 28.) . Les Byzantins se soumirent également et redevinrent, comme auparavant, sujets d’Athènes. CXVIII. Après ces événements 436 av. J.-C., neuf ans après la conclusion de la trêve de trente ans. , et à quelques années d’intervalle, nous arrivons aux faits dont j’ai parlé plus haut, l’affaire de Corcyre, celle de Potidée, et tout ce qui servit de prétexte à la guerre actuelle. Toutes ces entreprises des Grecs contre les Grecs ou contre les barbares, remplissent un intervalle de cinquante ans, de la retraite de Xerxès à la guerre du Péloponnèse. Pendant cette période, les Athéniens affermirent leur domination et parvinrent à un haut degré de puissance. Les Lacédémoniens le sentaient, mais n’y apportaient aucune entrave ; à part quelques courts intervalles de résistance, ils restèrent généralement inactifs. Même avant cette époque ils répugnaient à faire la guerre, à moins de nécessité absolue, et ils avaient d’ailleurs été quelque peu rete- nus par des luttes intestines. Mais, lorsque la puissance athénienne se fut élevée visiblement, lorsque déjà elle en vint à entamer leurs alliés, perdant alors patience, ils crurent nécessaire d’attaquer avec la plus grande vigueur et de briser, s’ils le pouvaient, cette domination : tel fut le but de la guerre actuelle. Les Lacédémoniens décidèrent donc que la trêve était rompue et qu’il y avait eu injuste agression de la part des Athéniens. Ils envoyèrent à Delphes demander au dieu s’il leur serait avantageux de faire la guerre ; le dieu, dit-on, répondit qu’en combattant avec énergie on Κατά χρατος ιτολΕαοΰσι νίχην εσεσβαι . L’oracle est amphibologique, comme de coutume, et peut être interprété en faveur des deux peuples. aurait la victoire, et que, invoqué ou non, il prêterait lui-même son appui Il y a évidemment là, comme le remarque le scoliaste, une allusion à la peste d’Athènes, Apollon étant le dieu qui envoie la peste et les fléaux. . CXIX. Ils rassemblèrent de nouveau les alliés pour mettre aux voix la question de guerre. Les députés des villes alliées arrivèrent, et, l’assemblée s’étant formée, chacun émit son opinion. La plupart accusèrent les Athéniens et se déclarèrent pour la guerre. Les Corin- thiens, inquiets pour Potidée, avaient agi à l’avance auprès de chaque état isolément, pour faire décréter la guerre ; ils étaient présents, s’avancèrent les derniers, et parlèrent en ces termes : CXX. « Généreux alliés, nous ne pouvons plus adresser de reproches aux Lacédémoniens ; car ce n’est qu’après avoir eux-mêmes décrété la guerre, qu’ils nous appellent aujourd’hui à nous prononcer. C’est ainsi que doivent agir ceux à qui est dévolu le commandement : partisans de l’égalité chez eux ; mais, dès qu’il s’agit des intérêts communs, jaloux d’y pourvoir les premiers, comme ils sont aussi, en toute occasion, l’objet des premiers honneurs. « Ceux d’entre nous qui ont eu des rapports avec les Athéniens n’ont pas besoin d’apprendre à se tenir en garde contre eux ; mais ceux qui habitent l’intérieur, loin des places de commerce, doivent songer que, s’ils ne viennent au secours des habitants de la côte, ils auront eux-mêmes plus de difficulté à exporter leurs denrées et à recevoir en échange ce que la mer apporte au continent. Ils jugeraient mal les intérêts actuels s’ils croyaient y être étrangers ; ils doivent songer au contraire qu’en délaissant les villes maritimes, le danger viendra jusqu’à eux, et que c’est sur eux-mêmes, non moins que sur nous, qu’ils délibèrent en ce moment. Qu’ils ne craignent donc pas d’échanger la paix pour la guerre : sans doute il est de la prudence de rester en repos quand on n’a pas été lésé ; mais aussi, en présence d’une injustice, l’homme de coeur n’hésite pas à renoncer à la paix pour courir aux armes, sauf à traiter ensuite, une fois le succès obtenu. S’il n’est pas enivré par la victoire, il n’est point non plus énervé par le repos et la paix, au point de se résigner à l’injustice ; car celui que les jouissances rendent timide sera bientôt, s’il reste oisif, dépouillé de ce placide bien-être pour lequel il craint tant ; et celui qui, à la guerre, se laisse enfler par le succès, ne songe pas qu’il obéit aux entraînements d’une audace perfide. Bien des entreprises inconsidérées ont réussi contre des adversaires plus inconsidérés encore ; mais beaucoup d’autres, et même en plus grand nombre, paraissaient parfaitement conçues, qui n’ont au contraire abouti qu’à la honte. C’est que personne n’apporte dans l’exécution la même confiance que dans la conception d’un projet : on délibère en toute sécurité, et on faiblit, par crainte, quand il faut agir. CXXI. « Quant à nous, c’est pour repousser une injustice et venger de justes griefs que nous réveillons aujourd’hui la guerre. Les Athéniens châtiés, nous déposerons à temps les armes. « Nous avons bien des chances de vaincre : d’abord nous avons pour nous le nombre et l’expérience des combats ; ensuite nous avons tous également l’habitude de l’obéissance. Quant à la marine, qui fait leur force, nous en formerons une avec les ressources particulières de chaque ville et les trésors déposés à Delphes et à Olympie Il ne peut être question ici de piller les temples ; les Corinthiens proposaient d’emprunter, comme cela se pratiquait dans les nécessités pressantes, les trésors de Delphes et d’Olympie. . Au moyen d’un emprunt nous serons en mesure de débaucher, par une solde plus élevée, leurs matelots étrangers Ces matelots étaient levés dans toutes les parties de la Grèce, même dans le Péloponnèse. ; car la puissance athé- nienne est plutôt mercenaire que nationale ; la nôtre, fondée sur nos personnes bien plus que sur nos richesses, a moins à craindre à cet égard. Une seule victoire navale nous les livre vraisemblablement. S’ils résistent, nous aurons plus de temps pour nous exercer à la marine, et, une fois égaux par la science, nous l'emporterons certainement par le courage : car les avantages que nous tenons de la nature, ils ne sauraient les acquérir par l’étude ; et la supériorité que leur donne la science, nous la leur enlèverons par le travail. Il nous faut de l’argent pour ces dépenses ; eh bien ! nous le fournirons : il serait vraiment étrange, quand leurs alliés ne se lassent pas de payer leur asservissement, que nous ne voulussions pas, nous, faire la moindre dépense pour nous venger de nos ennemis, pour assurer en même temps notre propre salut, et empêcher que ces mêmes richesses ne deviennent entre les mains des ra- visseurs l’instrument de notre ruine. CXXII. « Nous avons encore d’autres moyens à leur opposer dans cette guerre : la défection de leurs alliés, dont la première conséquence est de tarir les revenus, source de leur puissance ; la construction de forteresses sur leur territoire Les Lacëdémonlcns fortifièrent, en effet, Décélie, pour en faire la base de leurs opérations contre l’Attique (Thucy. i , 142). , et tant d’autres ressources qu’on ne saurait prévoir actuellement. Car la guerre ne suit pas, tant s’en faut, une marche réglée à l’avance ; c’est elle-même qui, le plus souvent, combine ses moyens au gré des circonstances. Y rester maître de soi est le gage le plus sûr du succès ; s’y laisser emporter, c’est s’exposer à plus de revers. « Songeons, en outre, que si chacun de nous n’avait à contester que sur des limites et contre des ennemis égaux en forces, on pourrait se résigner ; mais aujourd’hui les Athéniens, en état de lutter contre nous tous réunis, sont bien plus forts encore contre chaque ville isolément. Si donc nous ne nous réunissons tous ensemble, si peuples et villes ne se confédèrent dans une même pensée pour la défense commune, isolés, ils nous subjugueront sans peine ; et sachez que la défaite (quelque cruel que ce mot soit à entendre) n’apporterait avec elle rien moins que la servitude. Une pareille supposition, la seule pensée que tant de villes puissent être maltraitées par une seule, est déjà une honte pour le Péloponnèse. Éprouver un pareil sort ne paraîtrait alors que justice ; s’y résigner serait lâcheté. Nous montrerons-nous donc indignes de nos ancêtres ? Ils ont affranchi la Grèce entière ; et nous ne saurions affermir la liberté, même chez nous ! Nous laisserions une ville s’ériger en tyran, nous qui, lorsqu’un seul homme affecte la tyrannie dans un État, nous faisons gloire de le renverser ! Quant à nous, nous ne savons pas comment cette conduite échapperait au triple reproche d’imprévoyance, d’apathie ou d’incurie, trois vices funestes entre tous ; puisque c’est pour ne les avoir pas évités que vous en êtes venus à cette dédaigneuse indifférence qui a déjà causé bien des catastrophes, et qui, pour avoir conduit tant d’hommes à leur perte, a reçu le nom d’aveuglement. CXXIII. « Mais à quoi bon critiquer longuement le passé, si ce n’est en vue des intérêts actuels ! C’est en faveur de l’avenir qu’il faut venir en aide au présent, sans épargner la peine ; car s’élever à la vertu par le travail est un exemple que nous ont légué nos pères. Si maintenant vous l’emportez un peu sur eux pur la richesse et la puissance, ne renoncez point, pour cela, à ces moeurs héréditaires ; car il n’est pas juste que ce qui a été acquis par la pauvreté soit perdu par l’opulence. Marchez donc, pleins d’une confiance que bien des motifs autorisent ; l’oracle s’est prononcé et le dieu luimême a promis de vous venir en aide ; tout le reste de la Grèce combattra avec vous, soit par crainte, soit par intérêt. D’ailleurs, vous ne serez pas les premiers à enfreindre la trêve, puisque le dieu, en vous ordonnant de combattre, la déclare rompue ; loin de là, vous prendrez en main la défense des traités indignement foulés aux pieds ; car c’est l’agresseur qui les viole, et non celui qui se défend. CXXIV. « Ainsi tout vous convie à faire la guerre : nous vous y exhortons en commun ; et il est certain qu’elle entre dans les intérêts des villes et des particuliers. Ne tardez donc pas à secourir les Potidéates, c’est-à-dire des Doriens assiégés par des loniens (c’était le contraire autrefois), et sauvez en même temps la liberté de tous les autres Grecs ; car si nous abandonnons ceux qui sont aujourd’hui attaqués, si l’on sait, de plus, que nous nous sommes réunis sans oser les secourir, il n’est pas possible que les autres n’éprouvent pas bientôt le même sort. Considérez, généreux alliés, que nous en sommes venus à la dernière extrémité, et que le meilleur parti est celui que nous conseillons. Décrétez donc la guerre, sans vous inquiéter de ce qu’elle peut avoir de terrible pour le moment, sans songer à autre chose qu’aux longs jours de paix qui en résulteront ; car c’est par la guerre surtout qu’on affermit la paix ; et il n’y a pas la même sécurité à fuir la guerre par amour du repos. « Voyez cette ville qui, au milieu de la Grèce, s’est érigée en tyran : elle nous menace tous également ; déjà elle commande aux uns ; elle médite l’assujettissement des autres ; marchons donc pour la réduire, et, par là, assurons et l’affranchissement des Grecs maintenant asservis, et notre propre sécurité dans l’avenir. » Ainsi parlèrent les Corinthiens. CXXV. Lorsque tous eurent donné leur avis, les Lacédémoniens firent voter sucessivement tous les alliés présents, les délégués des petites villes comme ceux des grandes. La majorité se prononça pour la guerre. Cette décision prise, il n’y avait pas moyen d’agir surle-champ, aucune disposition n’étant faite : on arrêta donc que chacun ferait ses préparatifs en toute hâte ; moins d’une année fut employée à prendre les mesures nécessaires, jusqu’au jour où l’Attique fat envahie et la guerre ouvertement déclarée. CXXVI. Pendant ce temps ils envoyèrent des députés porter leurs griefs aux Athéniens, afin d’avoir, autant que possible, un prétexte spécieux de faire la guerre, si leurs plaintes n'étaient pas écoutées. Dans une première ambassade, les Lacédémoniens ordonnèrent aux Athéniens d’expier le sacrilège commis contre la déesse Minerve. ; voici quel était ce sacrilège : Un Athénien, nommé Cylon, vainqueur aux jeux olympiques, riche et d’une famille ancienne, avait épousé la fille de Théagène de Mégare, alors tyran de cette ville. Cylon ayant consulté l’oracle de Delphes, le dieu lui répondit d’occuper l’acropole d’Athènes, le jour de la plus grande fête de Jupiter. Il prit avec lui des forces que lui fournit Théagène, ainsi que ses amis gagnés au complot, et, quand vinrent les fêtes olym- piques du Péloponnèse D’après le scoliaste de Thucydide, on célébrait aussi des fêtes olympiques en Macédoine et à Athènes. , il s’empara de l’acropole. Son but était la tyrannie. Il crut que c’était là la plus grande fête de Jupiter et qu’elle avait, en quelque sorte, une signification pour lui-même, en sa qualité de vainqueur olympien. Avait-il été question de la plus grande fête de Jupiter dans l’Attique, ou en quelque autre lieu ? C’est ce à quoi il ne songea même pas, et ce que l’oracle n’avait pas indiqué. Car il y a aussi chez les Athéniens une grande fête de Jupiter Mélichius, appelée Diasia , et qui se célèbre hors de la ville·, le peuple tout entier y fait des sacrifices, et beaucoup offrent, au lieu de victimes, des symboles en usage dans le pays Ceux qui ne pouvaient pas sacrifier un boeuf ou un mouton offraient des gâteaux de farine et de miel, ou des parfums, représentant les animaux qu’on avait coutume d’immoler. . Cylon, croyant bien comprendre l’oracle, exécuta son entreprise. Mais, dès que les Athéniens en furent informés, ils accoururent en masse de la campagne, environnèrent l’acropole et en firent le siége. Comme il traînait en longueur, las de rester campés devant la place, ils se retirèrent pour la plupart et remirent aux neuf archontes la garde de la citadelle, avec plein pou- voir de tout régler comme ils l’entendraient ; car, à cette époque, l’administration des affaires publiques était en grande partie confiée aux archontes. Ceux qui étaient assiégés avec Cylon eurent beaucoup à souffrir du manque de vivres et d’eau ; quant à lui, il parvint à s’échapper avec son frère ; les autres, se voyant serrés de près, — car quelques-uns mouraient de faim, — s’assirent en suppliants auprès de l’autel qui est dans l’acropole. Les Athéniens commis à la garde, les voyant mourir dans le temple, les firent relever Afin qu’ils ne mourussent pas dans le temple, ce qui l’eût souillé. , avec promesse de ne leur faire aucun mal ; mais, après les avoir emmenés, ils les égorgèrent. Quelques uns s’étaient réfugiés auprès des déesses vénérables Les Euménides, ; ils les tuèrent aussi, en passant, jusque sur les autels. Pour ce fait, ils furent déclarés souillés et sacrilèges envers la déesse, eux et leur race. Les Àthéniens les expulsèrent ; le Lacédémonien Cléomène les fit aussi chasser plus tard par une des factions qui se partageaient Athènes La faction d’Isagoras, lors de l’expulsion de Clisthène, 509 av. J.-C. : non-seulement on exila les vivants, mais on enleva les ossements des morts, pour les jeter hors du territoire. Cependant ils rentrèrent par la suite, et leurs descendants sont encore à Athènes. CXXVII. Les Lacédémoniens invitèrent donc les Athéniens à rejeter loin d’eux cette souillure ; leur but, sans doute, était d’abord de venger la majesté des dieux ; mais ils savaient aussi que Périclès, fils de Xanthippe, tenait par sa mère à cette race sacrilège, et ils espé- raient , Périclès tombé, mener plus facilement à bien leurs affaires avec les Athéniens. Cependant ils comptaient moins encore le faire chasser, que soulever contre lui l’opinion publique, en laissant croire que par cette souillure il était en partie cause de la guerre. Car Périclès, l’homme le plus puissant de son temps, placé alors à la tête des affaires, était en toutes choses opposé aux Lacédémoniens, combattait leurs prétentions et excitait les Athéniens à la guerre Les comiques athéniens ont attribué cette hostilité de Péricles contre les Lacédémoniens à mille motifs ridicules ; tantôt c’cst le désir de venger Aspasie, à qui les Mégariens ont volé deux servantes, tantôt le parti pris de tout brouiller pour ne pas rendre ses comptes. Il n’est pas difficile de trouver des raisons plus sérieuses. Périclès, en politique habile, avait compris qu’Athènes et Lacédémone ne pouvaient longtemps vivre en paix, et qu’il n’y aurait aucune sécurité pour Athènes tant que Sparte serait debout. Il a engagé la lutte au moment où Athènes était toute puissante ; et il eût vraisemblablement réussi, si sa mort, arrivée au début des hostilités, n’eût privé les Athéniens du seul homme qui sût dominer les orages populaires et allier à la science de la guerre et à une rare sagacité politique une fermeté inébranlable. . CXXVIII. Les Athéniens, à leur tour, invitèrent les Lacédémoniens à expier le sacrilége de Ténare. Les Lacédémoniens avaient jadis arraché du temple de Neptune, à Ténare, les Hilotes suppliants, et les avaient massacrés. C’est même à cette cause qu’ils attribuèrent eux-mêmes le grand tremblement de terre de Sparte. Ils les invitèrent aussi à expier leur sacrilège contre Pallas Chalcioeque Pallas au temple d’airain. . Voici en quoi il consistait : lorsque Pausanias, rappelé de son commandement dans l’Hellespont et mis en jugement, eut été absous, les Spartiates ne lui confièrent plus aucune mission au dehors ; mais lui-même prit, de son chef et sans l’aveu des Lacédémoniens, une trirème d’Hermione et retourna dans l’Hellespont. Le prétexte était la guerre que les Grecs faisaient sur ce point ; mais son véritable but était de reprendre les intrigues qu’il avait nouées avec le roi, dans le dessein de mettre la Grèce sous sa domination. Voici, du reste, le premier service qu’il avait rendu au roi et le commencement de toute cette affaire : lorsqu’il prit Byzance Voy. Thucyd. i , 94. , à son premier voyage après son retour de Cypre, il avait fait prisonniers dans cette place occupée par les Mèdes, plusieurs parents et alliés du roi. Il les renvoya à ce prince, à l’insu des autres alliés, et publia qu’ils s’étaient échappés de ses mains. Il avait conduit cette intrigue de concert avec Gorgylus d’Érétrie, à qui il avait confié le commandement de Byzance et la garde des prisonniers. Il avait même en- voyé à Xerxès, par ce Gorgylus, une lettre dont voici le contenu, divulgué plus tard : « Pausanias, général de Sparte, voulant t’être agréable, te renvoie ces prisonniers de guerre. J’ai l’intention, si tu y consens, d’épouser ta fille Hérodote ( v , 32) dit qu’il épousa la fille de Mégabatès, cousin de Darius, fils d’Hystaspe. , et de te soumettre Sparte et le reste de la Grèce. Je crois être en mesure d’exécuter ce dessein, en me concertant avec toi ; si donc quelqu’une de ces propositions t’agrée, envoie-moi vers la mer un homme sùr, par l’intermédiaire duquel nous nous entendrons à l’avenir. » CXXIX. Tel était le contenu de la lettre. Xerxès en fut charmé et députa vers la mer Artabaze, fils de Pharnace. Il lui ordonna de prendre le commandement de la satrapie de Dascylion, en remplacement de Mégabatès qui en était alors investi. En même temps il lui remit une réponse écrite, pour Pausanias, avec mission de l’expédier à Byzance au plus vite, de montrer à Pausanias le sceau royal, et, dans le cas où il ferait quelques ouvertures sur ses propres affaires, d’agir pour le mieux et en sujet dévoué. A son arrivée, Artabaze exécuta les ordres qu’il avait reçus, et envoya la lettre. Cette réponse était ainsi conçue : « Ainsi parle le roi Xerxès à Pausanias : pour ce qui est des hommes que tu as sauvés à Byzance, et que tu m’as renvoyés à la côte opposée, ma reconnaissance envers toi reste gravée dans ma maison 1 et à jamais ineffaçable. Quant à tes propositions, je les agrée. Que ni le jour, ni la nuit, ne t’arrêtent et n’interrompent un instant l’exécution de les promesses ; que la dépense en or et en argent n’y soit pas un obstacle, ni le nombre des troupes, partout où leur appui te serait nécessaire. Je t’envoie Artabaze, homme sûr et fidèle ; traite en toute sécurité avec lui mes affaires et les tiennes, et fais ce qu’il y aura de mieux et de plus convenable pour tous deux. » CXXX. Après la réception de cette lettre, Pausanias, qui déjà jouissait d’une grande considération chez les Grecs pour avoir commandé à Platée, conçut encore plus d’orgueil, et ne voulut plus s’en tenir aux moeurs de son pays : il sortait de Byzance en costume médique ; lorsqu’il traversait la Thrace, des Mèdes et des Égyptiens l’escortaient, armés de lances ; sa table était servie à la manière persique ; déjà il ne pouvait plus contenir sa pensée, et, dans de petites choses, il trahis- sait les grands desseins dont il méditait l’accomplissement. Il ne se laissait aborder que difficilement, et se montrait, avec tout le monde sans exception, d’une humeur si intraitable, que personne ne pouvait plus paraître devant lui. Ce ne fut pas là un des moindres motifs qui déterminèrent les alliés à passer aux Athéniens. CXXXI. Ces procédés motivèrent son rappel, quand Les rois de Perse faisaient inscrire dans les fastes de leur règne les noms de ceux qui leur avaient rendu quelque service. on les connut à Lacédémone. Lorsque les Lacédémoniens le virent ensuite reprendre la mer sans leur ordre, sur un vaisseau d’Hermione, et continuer les mêmes intrigues ; lorsqu’on sut qu’après avoir été expulsé de Byzance par les Athéniens il ne revenait pas à Sparte, mais s’était établi à Colone en Troade, d’où il traitait, disait-on, avec les barbares, on comprit que ce n’était pas à bonne intention qu’il prolongeait là son séjour, et on perdit patience. Les éphores lui envoyèrent un héraut, porteur d’une scytale Voici, d’après le scoliaste de Thucydide et Suidas, quelques détails sur la scytale : c’était un bâton rond, allongé ; il y avait deux scytales absolument semblables : l’une d’elles était confiée au général en mission, l’autre restait entre les mains des éphores. Quand ils voulaient envoyer une dépêche secrète, ils roulaient une lanière blanche sur la scytale et écrivaient dans le sens de la longueur ; la lanière une fois déroulée, tous les caractères se trouvaient confondus, et le général seul, au moyen de la scytale semblable, pouvait rétablir la lettre. , avec ordre de ne pas quitter le héraut ; sinon, Sparte lui déclarerait la guerre. Pausanias, voulant écarter tout soupçon, et comptant d’ailleurs sur l’argent pour échapper à l’ac- cusation, revint une seconde fois à Sparte. Les éphores le firent d’abord jeter en prison ; car ils ont ce droit, même avec un roi ; mais Pausanias en sortit, grâce à ses intrigues, et s’offrit à rendre compte de sa conduite si quelqu’un voulait l’accuser. CXXXII. Personne à Sparte, ni parmi ses ennemis, ni dans le reste des citoyens, n’avait aucun indice certain qui pût autoriser à frapper un homme du sang royal et, de plus, revêtu alors de la plus haute dignité : car Plistarque, fils de Léonidas, roi de Sparte, trop jeune encore, était sous la tutelle de Pausanias, son cousin. Cependant son éloignement pour les moeurs nationales et son affectation à imiter celles des barbares faisaient gravement soupçonner qu’il ne voulait pas se contenter de sa fortune présente. On passait en revue sa conduite antérieure, pour voir s’il ne s’était écarté en rien des lois établies ; on se rappelait qu’à l’époque où les Grecs avaient consacré à Delphes un trépied, sur les prémices du butin enlevé aux Mèdes, il avait osé s’approprier l’offrande, en y faisant graver ce distique : Le général des Grecs, après avoir détruit l’armée des Mèdes, Pausanias, a consacré ce monument à Phébus. Les Lacédémoniens avaient sur-le-champ effacé cette inscription, pour faire graver sur le trépied le nom des villes qui avaient consacré ce monument de leur commune victoire sur les barbares Suivant le scoliaste de Thucydide, ce trépied fut plus tard placé par les Romains sur l’hippodrome de Byzance. . Néanmoins on faisait de cela un crime à Pausanias, et, dans la situation où il se trouvait, on y trouvait bien plus d’analogie encore avec ses desseins du moment. Le bruit courait aussi qu’il avait des intelligences avec les Hilotes ; et cela était vrai : il leur avait promis la liberté et le rang de citoyens s’ils voulaient se soulever avec lui et seconder en tout ses desseins. Cependant ni ces griefs, ni les déclarations de quelques Hilotes, n’avaient paru aux Lacédémoniens mériter assez de créance pour qu’on innovât rien à son égard, et qu’on se départit de l’usage établi chez eux de ne jamais se hâter de prononcer, sans preuves incontestables, une peine capitale contre un Spartiate. Enfin, dit-on, un homme d’Argila Dans la Chalcidique. , autrefois mignon de Pausanias, et investi de toute sa con- fiance, ayant été chargé par lui de porter à Artabaze ses dernières lettres pour le roi, devint son dénonciateur. La pensée qu’aucun des messagers envoyés avant lui n’était revenu lui avait inspiré quelques craintes : il contrefit donc le cachet, afin de n’être pas découvert s’il s’était trompé dans ses conjectures, ou si Pausanias réclamait les lettres pour y faire quelque changement. Cela fait, il ouvrit les lettres et y trouva la confirmation de ses soupçons ; car elles contenaient l’ordre de lui donner la mort. CXXXIII. Ces lettres, communiquées par lui aux éphores, fortifièrent leur conviction. Toutefois ils voulurent entendre personnellement quelque aveu de la bouche de Pausanias ; d’après leurs instructions, cet homme se rendit en suppliant à Ténare Dans le temple de Neptune, regardé comme un asyle inviolable. , s’y construisit une cabane séparée en deux par une clôture, et fit cacher dans l’intérieur quelques-uns des éphores. Pausanias vint à lui et lui demanda ses motifs pour se constituer suppliant : alors les éphores entendirent distinctement et les reproches de cet homme à Pausanias sur ce qu’il avait écrit à son sujet, et les détails circonstanciés qu’il lui donnait sur tout le reste ; comment il ne l’avait jamais compromis dans ses messages auprès du roi ; comment Pausanias l’avait cependant choisi pour le dévouer à la mort, à l’égal du commun de ses serviteurs. Ils entendirent également Pausanias convenir de tout, l’engager à ne pas s’irriter de ce qui venait de se passer, l’assurer qu’il pouvait sans crainte sortir du temple sur sa parole, le presser enfin de partir sans délai et de ne pas entraver ses négociations. CXXXIV. Après avoir tout entendu par eux-mêmes, Les éphores se retirèrent, et, désormais bien convaincus du crime, ils résolurent d’arrêter Pausanias dans la ville. On raconte qu’il allait être pris sur le chemin, mais que, voyant un des éphores s’avancer, il comprit à son air dans quel but il venait à lui ; sur un signe secret d’un autre éphore, qui l’avertit par bienveillance, il les prévint et courut se réfugier dans le temple de Pallas Chalcioeque. Ce temple était tout près ; il entra dans un petit réduit qui en dépendait, afin de ne point souffrir des intempéries de l’air, et s’y tint en repos. Les éphores, dans le premier moment, ne purent l’atteindre ; mais ensuite, l’ayant découvert dans ce réduit, ils enlevèrent le toit et les portes, l’y renfermèrent en murant les issues, et restèrent à l’assiéger par la faim. Lorsqu’ils s’aperçurent, à sa position dans le réduit, qu’il allait rendre le dernier soupir, ils le tirèrent du temple, respirant encore ; et il mourut aussitôt. On allait le jeter dans le Céada, où l’on précipite les criminels ; mais on se décida ensuite à l’ensevelir dans le voisinage. Plus tard, l’oracle de Delphes ordonna aux Lacédémoniens de transporter son tombeau au lieu où il était mort. (On le voit encore aujourd’hui sous les portiques en avant du temple, ainsi que l’indique une inscription gravée sur des colonnes.) L’oracle déclara aussi qu’il y avait sacrilège, et qu’ils eussent à donner à Pallas Chalcioeque deux corps au lieu d’un : les Lacédémoniens firent faire deux statues d’airain et les consacrèrent, comme expiation de la mort de Pausanias. CXXXV. Les Athéniens, se fondant sur la déclaration de sacrilége faite par le dieu, insistèrent de leur côté pour une expiation. Les Lacédémoniens envoyèrent des députés à Athènes accuser Thémistocle, comme coupable de médisme Plutarque et Diodore admettent que Thémistocle connaissait en effet la trahison de Pausanias, mais avait refusé de s’y associer. Diodore ajoute que le but des Lacédémoniens, en accusant Thémistocle, était d’associer les Athéniens à la honte de cette trahison. , à l’égal de Pausanias. Ils avaient trouvé, disaient-ils, dans les pièces du procès de Pausanias, la preuve de sa culpabilité, et demandaient qu’il subît la même peine. Thémistocle, alors frappé d’ostracisme, vivait à Argos, et faisait des excursions dans le reste du Péloponnèse. Les Athéniens, cédant à ces réclamations, acceptèrent l’offre des Lacédémoniens de poursuivre Thémistocle de concert avec eux, et leur adjoignirent des commissaires, avec ordre de l’amener, quelque part qu’ils le trouvassent. CXXXVI. Thémistocle, prévenu à temps, s’enfuit du Péloponnèse et se retira chez les Corcyréens qu’il avait obligés Suivant le scoliaste, Thémistocle s’était opposé à ce qu’on chàtiât les cités qui n’avaient point pris part à la lutte contre les Perses ; de ce nombre étaient les Corcyréens. . Mais ceux-ci lui ayant observé qu’ils craignaient, en le gardant, de s’attirer l’inimitié des Péloponnésiens et des Athéniens, il se fit transporter par eux sur le continent en face de Corcyre. Toujours poursuivi par les commissaires envoyés sur ses traces, traqué par eux partout où il cherchait asile, il fut contraint, dans un moment de détresse, de se retirer chez Admète Suivant Diodore, il aurait passé directement d’Argos chez Admète, et de là en Asie. , roi des Molosses, qui ne l’aimait pas. Admète se trouvait alors absent. Il s’établit en suppliant auprès de sa femme, et, sur ses conseils, il s’assit au foyer, tenant leur enfant dans ses bras. Le roi étant rentré peu après, il se fit connaître et lui représenta que, bien que lui-même eût été contraire à ses sollicitations auprès des Athéniens, il serait indigne d’Admète de se venger sur un exilé· ; que celui dont il avait eu à se plaindre était maintenant beaucoup plus faible que lui, et qu’il était généreux de ne se venger que de son égal ; que d’ailleurs s’il s’était montré opposé au roi, c’était dans une circonstance où il ne s’agissait que d’intérêts et non de la vie ; tandis qu’Admète, en le livrant (il lui fit connaître alors par qui il était poursuivi et pour quel motif), lui arrachait l’existence. Admète, à ces mots, fit relever Thémistocle qui était resté assis, tenant le fils du roi dans ses bras : c’était la forme de supplication la plus solennelle. CXXXVII. Lorsque les Lacédémoniens et les Athéniens arrivèrent, peu de temps après, il refusa de le livrer, malgré leurs pressantes sollicitations Et même malgré leurs menaces. (Voy. Diodore, xii , 56.) ; et, sur le désir qu’exprima Thémistocle de se rendre auprès du roi de Perse, il le fit conduire par terre jusqu’à Pydna, ville d’Alexandre Alexandre Philellène. , sur l’autre mer Sur le golfe Thermaique, tandis que les États d’Admète étaient situés sur le golfe Pagasétique. . Il y trouva un bâtiment qui faisait voile pour l’Ionie, s’y embarqua et fut poussé par la tempête devant le camp des Athéniens qui assiégeaient Naxos. L’équipage ne le connaissait pas ; mais la crainte l’obligea à dire au commandant qui il était et les motifs de sa fuite. Il lui déclara que, s’il ne le sauvait pas, il le considérerait comme un traitre gagné à prix d’argent pour le livrer ; que le plus sûr était de ne laisser personne sortir du vaisseau, jusqu’à ce qu’on pût reprendre la mer ; qu’enfin, s’il consentait à lui rendre ce service, il n’oublierait pas de le reconnaître dignement. Le commandant accéda à sa demande ; il mouilla à distance, pendant un jour et une nuit, au-dessus du camp des Athéniens, et alla aborder à Éphèse. Thémistocle reconnut ce service par un présent en argent ; car ses amis lui envoyèrent par la suite, d’Athènes et d’Argos, les richesses qu’il y avait secrètement déposées. De là il s’avança vers l’intérieur, guidé parmi Perse de la côte, et envoya une lettre à Artaxerxès, fils de Xerxès, qui venait de monter sur le trône 471 av. J.-C. . En voici le contenu : « Je suis Thémistocle ; je me rends près de toi ; j’ai fait à votre maison plus de mal qu’aucun des Grecs, tout le temps que j’ai été dans la nécessité de me défendre contre les attaques de ton père ; mais je lui ai fait beaucoup plus de bien encore dans sa retraite, lorsqu’il y avait sécurité pour moi et danger pour lui. J’ai donc droit à quelque reconnaissance. (Il rappelait ici qu’il avait prévenu Xerxès que les Grecs se préparaient à quitter Salamine Thémistocle avait fait prévenir Xerxès par un esclave que les Grecs se préparaient à fuir et qu'il eût à les attaquer sur-lechamp dans des conditions où la victoire serait facile pour lui. C’était un stratagème. ; et que c’était lui qui, en faisant répandre faussement la nouvelle de la rupture des ponts, l’avait alors empêchée). Maintenant encore je puis, on venant à toi, te rendre de grands services, moi qui suis poursuivi par les Grecs pour l’amitié que je te porte. Je veux, dans un an, t’expliquer moi-même pourquoi je me rends auprès de toi. » CXXXVIII. Le roi admira, dit-on, sa résolution, et l’engagea à y donner suite. Thémistocle, dans l’intervalle, apprit tout ce qu’il put de la langue des Perses et des usages du pays. Au bout d’un an, il se présenta devant le roi et reçut de lui plus d’honneurs et de puissance que n’en avait jamais obtenu aucun des Grecs Plutarque et Diodore s’étendent longuement sur les honneurs qui lui furent accordés à la cour de Perse. . Il dut cette distinction à son illustration antérieure, à l’espérance qu’il faisait concevoir au roi de lui soumettre la Grèce, et surtout à la perspicacité dont il donna des preuves. En effet, on remarquait chez Thémistocle une intelligence naturelle aussi sûre que puissante ; et, à cet égard, il méritait tout particulièrement l’admiration qu’inspire un homme supérieur. Une pénétration innée, que l’étude n’avait pas eu besoin de former, à laquelle l’étude n’avait rien ajouté, lui permettait de juger sai- nement, presque sans réflexion, les faits les plus imprévus, au moment même où ils se présentaient ; quant à l’avenir, il était rare que ses conjectures fussent démenties. Il avait une égale sûreté de coup d’oeil et pour traiter les questions dont il avait l’habitude, et pour saisir celles dont il n’avait point l’expérience. Pardessus tout il savait démêler à l’avance, au milieu des événements, ce qui était avantageux ou nuisible. En un mot, il excellait, grâce à la vigueur de son intel- ligence, à improviser presque sans travail tout ce qu’exigeaient les besoins du moment. Une maladie termina sa vie. On a aussi prétendu qu’il s’empoisonna lui-même, ne croyant pas pouvoir tenir les promesses qu’il avait faites au roi. Son tombeau est à Magnésie-d’Asie, sur la place publique ; car il était gouverneur de cette contrée, le roi lui ayant donné Les historiens font constamment allusion à cet usage des Perses. Hérodote dit ( i , 192) que quatre bourgs étaient attribués à l’entretien des chiens du roi. , pour le pain, Magnésie qui rapportait annuellement cinquante talents ; pour le vin Lampsaque, qu’on réputait le vignoble le plus fertile d’alors ; et Myonte Ville de Carie. pour la table. Ses parents assurent avoir rapporté, d’après ses ordres, ses restes dans l’Attique, sa patrie, et les y avoir ensevelis à l’insu des Athéniens ; car, ayant été banni pour trahison, il ne pouvait y être enseveli Voici la loi : « Si quelqu'un est convaincu d’avoir trahi « l’État, ou dérobé les choses sacrées, qu’il ne soit point ense- « veli dans l’Attique, et que ses biens soient confisqués. » . Ainsi finirent Pausanias de Lacédémone et Thémistocle d’Athènes, les deux hommes les plus illustres de la Grèce à cette époque. CXXXIX. Telles furent, lors de la première ambassade, les injonctions que firent et reçurent les Lacédémoniens pour l’expulsion des sacriléges. Ils renouvelèrent plus tard leurs réclamations ; de plus, ils enjoignirent aux Athéniens de lever le siége de Potidée et de rendre à Égine son indépendance ; ils insistaient surtout, et d’une manière formelle, sur le retrait du décret qui interdisait aux Mégariens les ports de domination athénienne et le marché de l’Attique Voy. chap. lxvii , et Aristoph. dans la Paix , v. 598. ; à cette condition, disaient-ils, ils ne feraient pas la guerre. Mais les Athéniens ne voulurent écouter aucune réclamation, pas plus celle relative au rapport du décret que les autres : ils accusaient les Mégariens de cultiver un terrain sacré, resté en litige entre eux Ce territoire, situé sur les frontières de l’Attique et de la Mégaride, était appelé Orgas , et consacré à Cérès et à Proserpine. , et de donner asile à leurs esclaves fugitifs Allusion aux servantes d’Aspasie, dont parle Aristophane dans les Acharn. , v. 525. . Enfin les derniers députés de Lacédémone, Ramphias, Mélésippus et Agésandre, sans revenir en rien sur les réclamations antérieures, firent cette simple déclaration : « Les Lacédémoniens veulent la paix ; elle subsisterait si vous laissiez aux Grecs leur indépendance. » Les Athéniens se formèrent alors en as- semblée et invitèrent chacun à donner son avis. Il fut résolu qu’après délibération on répondrait sur l’ensemble, une fois pour toutes. Bien des paroles furent échangées et les deux opinions opposées trouvèrent des partisans, les uns soutenant qu’il fallait faire la guerre, les autres que le décret ne devait pas être un obstacle à la paix, et qu’il fallait le rapporter. Périclès, fils de Xanthippe, s’avança alors ; c’était, à cette époque, l’homme le plus éminent d’Athènes, le premier en tout, et pour la parole et pour l’action. Il les exhorta en ces termes : CXL. « Athéniens, mon opinion n’a pas changé : nous ne devons pas céder aux Péloponnésiens. L’ardeur avec laquelle on se détermine à la guerre ne persiste pas, je le sais, quand il faut agir ; el les pensées des hommes tournent au gré des événements. Néanmoins je sens qu’aujourd’hui encore il me faut persévérer à vous donner les mêmes conseils ; je crois juste que ceux d’entre vous qui les auront adoptés soutiennent les résolutions prises en commun, même si tout ne réussit pas au gré de nos espérances ; sinon, qu’ils ne viennent point, en cas de succès, l’attribuer après coup à leur propre sagesse ; — car il peut se faire qu’il y ait inconséquence dans la marche des événements, tout aussi bien que dans les pensées des hommes ; et c’est pour cela que nous avons coutume d’accuser la fortune, toutes les fois qu’un événement imprévu vient tromper notre attente. « Les dispositions hostiles des Lacédémoniens contre nous étaient évidentes auparavant ; elles le sont encore plus aujourd’hui. Car, bien que les traités portent que les différends réciproques seront réglés à l’amiable, chacun de nous restant provisoirement nanti de ce qu’il a entre les mains, ils n’ont jamais voulu ni réclamer l’arbitrage, ni l’accepter lorsque nous l’avons offert ; ils aiment mieux dans leurs réclamations en appeler aux armes qu’à la justice ; et déjà ce sont des ordres, ce ne sont plus des plaintes qu’ils vous apportent. Ils nous ordonnent de lever le siége de Potidée, de rendre l’indépendance à Égine, et de rapporter le décret contre les Mégariens. Enfin voilà leurs derniers députés qui viennent nous enjoindre de laisser la liberté à tous les Grecs. Ils proclament bien haut que, le décret Contre les Mégariens. rapporté, il n’y aura pas de guerre ; mais n’allez pas, pour cela, vous imaginer qu’en refusant de le rapporter nous ferions la guerre pour bien peu de chose. Il ne faut pas qu’un jour, regardant en arrière, vous trouviez en vous le regret d’avoir fait la guerre pour un motif futile : dans ce peu de chose, il y a l’affer- missement de votre puissance et l’épreuve de votre fermeté. Si vous leur cédez, bientôt ils vous feront des injonctions plus rigoureuses, dans l’espoir que, par crainte, vous obéirez encore. En tenant ferme, au contraire, vous leur montrerez clairement que le mieux est d’agir avec vous sur le pied de l’égalité. CXLI. « Avisez donc, d’après cela : ou bien obéissez avant d'avoir éprouvé aucun dommage, ou bien, si nous faisons la guerre, ce qui me paraît le meilleur parti, ne cédez pour aucun motif, grave ou léger, afin de n’être pas réduits à craindre sans cesse de perdre ce que vous possédez ; car il y a toujours esclavage dans l’obéissance à un ordre, que l’objet en soit important ou non, lorsqu’il vient d’un égal et précède tout jugement. « Quant à la guerre et aux ressources des deux partis, vous vous convaincrez par les détails suivants que nous ne le céderons en rien : les Péloponnésiens vivent de leur travail ; ils n’ont ni richesses privées, ni fortune publique. Ils n’ont pas davantage l’expérience des longues guerres, de celles qu’on fait au-delà des mers ; parce que, grâce à leur pauvreté, leurs luttes entre eux sont de courte durée. Dans cette situation, ils ne peuvent ni équiper des vaisseaux, ni même faire sur terre de fréquentes expéditions au dehors ; car il leur fau- drait tout à la fois abandonner leurs propriétés et prendre sur eux-mêmes les frais de la guerre ; d’ailleurs la mer leur est interdite. C’est avec des trésors en réserve, bien plus que par des contributions forcées, qu’on soutient la guerre ; et des hommes qui vivent de leur travail sont bien plus disposés à sacrifier dans les com- bats leur corps que leur pécule ; car ils ont l’espérance d’échapper au danger, tandis qu’ils no sont point sûrs de n'avoir pas épuisé prématurément leurs ressources ; surtout si, contre leur attente, la guerre traîne en longueur, comme cela est ici vraisemblable. « Les Péloponnésiens et leurs alliés sont en état de tenir tête à tous les Grecs réunis, dans une affaire unique ; mais ils ne peuvent faire une guerre soutenue, contre un ennemi qui a des ressources toutes différentes ; car, n’ayant pas un conseil unique, ils ne peuvent exé- cuter sur l’heure une résolution soudaine. En regard de l’égalité du suffrage, il y a chez eux différence de race, opposition d’intérêts ; et, par suite, rien n’arrive à bonne fin. Les uns sont surtout préoccupés de telle vengeance qu’ils ont en vue, les autres ne voient que leurs intérêts privés, qu’ils craignent par-dessus tout de compromettre ; on se rassemble lentement ; on n’accorde que peu d’attention aux affaires publiques ; on s’occupe le plus souvent des siennes propres. Chacun pense ne pas nuire, par sa négligence, à l’intérêt général, persuadé qu’un autre y pourvoira pour lui ; si bien que, tous faisant en particulier le même raisonnement, le bien public se trouve, en somme, avoir été sacrifié sans qu’on s’en doutât. CXLII. « La plus grande difficulté pour eux sera le manque d’argent ; ils ne s’en procureront que lentement, perdront du temps ; et, à la guerre, les occasions n’attendent pas. « Ni les forts qu’ils pourraient élever chez nous, ni leur marine, ne peuvent non plus nous inquiéter sérieusement : pour ce qui est des fortifications, ils n’élèveront pas sans doute une ville comme la nôtre ; c’est difficile en temps de paix, à plus forte raison en pays ennemi, en face d’une ville comme Athènes, fortifiée aussi, et de longue main. S’il ne s’agit que d’une forteresse, ils pourront nous inquiéter par des incursions sur quelques parties de notre territoire, et en donnant asile à nos transfuges ; mais ils ne nous empêcheront certes pas d’aller chez eux par mer assiéger leurs places ; nous les harcèlerons à notre tour avec la flotte qui fait notre force. Nous trouverons dans notre expérience de la mer plus de ressources pour la guerre con- tinentale qu’ils n’en trouveront dans leur armée de terre pour une lutte maritime. Devenir marins habiles ne sera pas chose facile pour eux ; puisque vous-mêmes, adonnés à la pratique de cet art depuis la guerre médique, vous ne l’avez pas encore porté à la perfection·, comment donc des laboureurs, des hommes étrangers à la mer, arriveraient-ils à quelque résultat, surtout lorsque vos nombreux vaisseaux, sans cesse à leur poursuite, ne leur permettront pas même de s’exercer ? Ils pourraient peut-être se risquer contre quelque faible division, leur nombre les rassurant sur leur ignorance ; mais, contenus par des flottes considérables, ils seront condamnés à l’inaction ; le défaut d’exercice les rendra plus ignorants, et l’ignorance plus timides. La marine est un art aussi difficile que tout autre ; on ne peut pas s’y appliquer au hasard et accessoirement ; loin de là, elle n’admet pas qu’on fasse, même accessoirement, rien autre chose. CXLIII. « Supposons même qu’ils mettent la main sur les trésors d’Olympie et de Delphes, et qu’ils tentent de nous débaucher, par une solde plus élevée, nos matelots étrangers : ce serait là un danger, si nous n’étions en état de leur tenir tête à nous seuls, en nous embarquant avec les métoeques Étrangers naturalisés. ; mais, cet avantage, nous le possédons ; et, ce qui est surtout décisif, nous trouvons parmi nos nationaux des pilotes et des équipages meilleurs et plus nombreux que dans tout le reste de la Grèce. D’ailleurs, aucun étranger ne voudrait, pour quelques jours de haute paie, aller au danger et s’exposer à être exilé de sa patrie, dans le seul but de combattre à leurs côtés, avec moins d’espérance de vaincre. « Telle est, ou à peu près, ce me semble, la situation des Péloponnésiens. La nôtre est toute différente ; à l’abri des critiques que je viens de leur adresser, nous avons encore sur eux d’autres avantages considérables. S’ils envahissent notre pays par terre, nous attaquerons le leur par mer, et alors la dévastation d’une partie seulement du Péloponnèse ne peut plus se comparer à celle de l’Atlique, même tout entière : ils n’auront pas une autre contrée à occuper sans combat ; nous, au contraire, la terre ne nous manquera pas, et dans les iles, et sur le continent ; car c’est une grande chose que l’empire de la mer. Examinez plutôt : si nous étions insulaires, quelle puissance serait plus inexpugnable ? Aussi devons-nous songer à nous rapprocher le plus possible de cet état, en abandonnant nos champs, nos habitations du dehors, et en nous bornant à garder la mer et notre ville. Ne nous laissons point emporter par l’indignation à combattre les Péloponnésiens, bien plus nombreux que nous : vainqueurs, nous aurions bientôt à faire face à des armées tout aussi nombreuses ; vaincus, nous perdrions ce qui fait notre force, l’assistance de nos alliés ; car ils ne se tiendront pas en repos du moment où nous ne serons plus en état de marcher contre eux. « Ne gémissons pas sur nos maisons et nos terres ; ne songeons qu’aux hommes ; car ce ne sont pas ces choses qui nous possèdent, mais nous qui les possédons. Si même j’espérais vous persuader, je vous engagerais à aller de vos propres mains ravager vos champs, afin de montrer par là aux Péloponnésiens qu’ils ne seront pas pour vous un motif de soumission à leurs ordres. CXLIV. « Bien d’autres motifs encore me font espérer la victoire ; pourvu cependant que vous ne prétendiez pas, tout en faisant la guerre, accroître votre domination et ajouter volontairement aux périls de l’entreprise. Car je crains plus nos propres fautes que les desseins de nos adversaires. Mais je reviendrai à ce sujet, pour le traiter plus tard, dans le cours des événements. Maintenant, renvoyons les députés avec cette réponse : Nous ouvrirons aux Mégariens notre marché et nos ports, si les Lacédémoniens, de leur côté, consentent à ne pas éloigner de chez eux, comme étrangers, nous et nos alliés. Car, de part et d’autre, nous conservons sur ce point toute liberté, les traités ne renfermant aucune prescription contraire : nous rendrons aux villes leur indépendance, si elles en jouissaient lors de la conclusion du traité, et si les Lacédémoniens permettent aux villes de leur domination d’adopter, non pas un gouvernement approprié aux intérêts de Lacédémone, mais celui qu’elles choisiront librement ; nous nous soumettons à un arbitrage, conformément au traité ; enfin nous ne commencerons pas la guerre, mais nous nous défendrons contre les agresseurs. « Voilà ce qu’il est juste de répondre, ce qui en même temps convient à la dignité de cette ville. Sachons, d'ailleurs, que la guerre est inévitable ; que si nous l’entreprenons volontairement, nos adversaires pèseront sur nous avec moins de force, enfin que des plus grands dangers naissent, pour les États et les particuliers, les plus grands honneurs. Ainsi nos pères se sont levés contre les Mèdes ; ils n’avaient point, en marchant à l’ennemi, nos immenses ressources ; ils abandonnaient tout ce qu’ils possédaient ; et pourtant, par la sagesse de leurs desseins bien plus que par les faveurs de la fortune, avec une ardeur supérieure à leurs forces, ils ont repoussé les barbares et sont parvenus à ce haut degré de puissance. Ne restons pas audessous d’eux ; mais luttons de toutes nos forces contre l’ennemi, et efforçons-nous de transmettre intacte cette puissance à nos descendants. » CXLV. Ainsi parla Périclès. Les Athéniens, persuadés qu’il leur conseillait ce qu’il y avait de mieux, rendirent un décret conforme à son avis ; et, dans leur réponse aux Lacédémoniens, ils se réglèrent pour chaque point sur son opinion. Ils disaient, en général, que jamais ils ne concéderaient rien à aucune injonction ; mais qu’ils étaient prêts à traiter sur le pied de l’égalité, et à faire juger leurs contestations conformément au traité. Les députés se retirèrent, et il n’y eut plus dès lors d’ambassade. CXLVI. Tels furent, de part et d’autre, les griefs et les motifs de rupture avant la guerre ; ils dataient des affaires d’Épidamne et de Corcyre. Cependant le commerce réciproque subsistait encore, les relations internationales continuaient sans héraut, mais non pas sans défiance ; car il y avait atteinte profonde aux garanties des traités, et prétexte de guerre. LIVRE DEUXIÈME. I. Ici commence la guerre entre les Athéniens et les Péloponnésiens, assistés de leurs alliés respectifs Il les énumère au chap. ix. — L’an 432 av. notre ère ; 1 re année de la 87 e olympiade. . Pendant sa durée, les communications n’eurent plus lieu sans l’intermédiaire d’un héraut ; et les hostilités, une fois commencées, se poursuivirent sans interruption. J’ai suivi pas à pas, dans ce récit, l’ordre des événements, par été et par hiver. II. La trêve de trente ans, conclue après la prise de l’Eubée Elle fut conquise par Périclès ; voir liv. I, ch. 114. , subsista quatorzeans. La quinzième année,— Chrysis exerçait alors le sacerdoce à Argos depuis qua- rante-huit ans Le temple de Junon, dont Chrysis était prêtresse, n’était pas à Argos, mais sur la route d’Argos à Corinthe, à quarante stades de ta première ville. Neuf ans plus tard, Chrysis s’endormit dans . le temple, en laissant sa lampe auprès de bandelettes qui prirent feu ; le temple fut entièrement consumé, et Chrysis s’enfuit à Tégée. , Enésius était éphore à Sparte, et Pythodore avait encore l'archontat pour deux mois Les archontes entraient en charge au mois hécatombéon. La tentative sur Platée tombe donc la 1 re année de la 87 e olympiade, à la fin du dixième mois, nommé munychion. à Athènes, — le sixième mois après la bataille de Potidée, au commencement du printemps, des Thébains, au nombre d’un peu plus de trois cents, sous les ordres des béotarques Les béotarques, ou chefs de la confédération béotienne, étaient au nombre de onze ; ils formaient ce qu’on appellerait aujourd’hui le pouvoir exécutif, sous le contrôle d’un sénat. Pythangelus, fils de Philidès, et Diem- porus, fils d’Onétoridès, entrèrent en armes à Platée Sur l’Asopus, à l’ouest de Thèbes, dont elle était distante de soixante-dix stades (environ treize mille mètres). , ville de Béotie, alliée des Athéniens. C’était au moment du premier sommeil. Ce furent des habitants de Platée, Nauclide et ses complices, qui les appelèrent etleur ouvrirent les portes. Ils voulaient, dans des vues d’ambition personnelle, tuer ceux des citoyens qui leur étaient opposés, et soumettre la ville aux Thébains. Cette intrigue avait été concertée avec Eurymaque, fils de Léontiadès, homme très puissant à Thèbes. Les Thébains, en effet, avaient toujours été en différend avec Platée, et, prévoyant la guerre, ils voulaient l’occuper d’avance, pendant que les hostilités n’étaient pas ouvertement déclarées. Aussi leur fut-il d’autant plus facile d’y pénétrer sans être découverts, aucune garde n’étant encore établie. Ils rangèrent leurs armes sur la place, et là, au lieu de suivre le conseil que leur donnaient ceux qui les avaient appelés de se mettre à l’oeuvre sur-le-champ et d’envahir les maisons du parti ennemi, ils curent la pensée de recourir à des proclamations conciliantes, afin d’amener la ville à un accord amiable. Ils firent donc publier par le héraut que ceux qui voudraient entrer dans leur ligue, sur le pied des conventions anciennement faites entre tous les Béotiens, eussent à venir en armes se joindre à eux. Ils pensaient que par ce moyen la ville se soumettrait sans difficulté. III. Quand les Platéens s’aperçurent que les Thébains étaient dans leurs murs, et que la ville avait été surprise, ils furent d’abord saisis de terreur ; car ils croyaient les ennemis beaucoup plus nombreux, la nuit empêchant de distinguer. Ils consentirent donc â traiter, reçurent les propositions qu’on leur faisait et restèrent en repos, avec d’autant moins de difficulté que les Thébains ne faisaient contre personne aucune entreprise hostile. Mais, au milieu de ces pourparlers, ils s’aperçurent que les Thébains étaient en petit nombre et qu’en les attaquant ils pourraient en venir à bout aisément ; car la grande majorité du peuple plaléen ne voulait pas se détacher des Athéniens. L’attaque fut donc résolue : ils se réunirent en perçant les murs mitoyens, afin de n’être pas découverts dans le parcours des rues, mirent en travers des rues des chars dételés, en guise de murailles, et firent, autant que possible, toutes les dispositions qui leur parurent appropriées à la circonstance. Les préparatifs terminés, ils profitèrent du reste de la nuit, et, à l’approche de l’aurore, sortirent de leurs maisons pour l’attaque ; ils avaient calculé qu’au lieu d’avoir à combattre un ennemi enhardi par la clarté du jour et placé dans des conditions égales, ils auraient affaire à une troupe ef- frayée par l’obscurité, et inférieure à eux-mêmes pour la connaissance des lieux. Ils s’élancèrent donc et en vinrent aux mains sans délai. IV. Les Thébains, dès qu’ils se virent trompes, se concentrèrent, firent face de tous côtés aux attaques, et les repoussèrent deux ou trois fois ; mais quand ensuite les Platéens se précipitèrent sur eux à grand bruit ; quand femmes et serviteurs, avec des cris et des hurlements, lancèrent du haut des maisons des tuiles et des pierres ; quand survint en même temps, au milieu des ténèbres, une pluie abondante, la terreur les saisit et ils se mirent à fuir par la ville. Mais, ignorant pour la plupart les passages par où ils pouvaient s’échapper, fuyant dans la boue et dans l’obscurité (on était alors à la fin de la lune), poursuivis d’ailleurs par un ennemi qui leur coupait la retraite grâce à sa connaissance des lieux, beaucoup d’entre eux périrent. Un Platéen ferma la porte par laquelle ils étaient entrés, la seule qui fût ouverte ; il se servit, au lieu de verron, d’un fer de lance au moyen duquel il fixa la barre Les portes se fermaient au moyen d’une barre transversale, qui tournait sur un axe et venait s’emboîter dans les deux montants de la porte. Cette barre était arrêtée par un verrou, un clou ou un crochet, qui la fixait à l’un des battants. . Ainsi, même de ce côté, il n’y avait plus d’issue. Poursuivis par la ville, quelques-uns gravirent le mur et se précipitèrent en dehors ; presque tous périrent. Quelques-uns arrivèrent , sans être aperçus, à une porte non gardée, en brisèrent la serrure avec une hache qu’une femme leur donna, et s’échappèrent ; mais ce fut le petit nombre ; car on ne tarda pas à s’en apercevoir. D’autres périrent dispersés çà et là dans la ville. Le gros des fugitifs, tout ce qui était resté en corps, donna dans un grand bâtiment dépendant de la muraille, et dont l’entrée, placée à leur portée, se trouvait ouverte. Ils prirent cette entrée pour une des portes de la ville et crurent avoir devant eux une issue vers le dehors. Les Platéens, les voyant enfermés, délibérèrent s’ils ne les brûleraient pas dans cette situa- tion, en mettant le feu au bâtiment, ou s’ils prendraient à leur égard quelque autre parti. Enfin ces malheureux capitulèrent et se rendirent à discrétion, eux et leurs armes. Tous ceux qui restaient errants dans la ville en firent autant. Tel fut le sort de ceux qui étaient entrés à Platée. V. D’autres Thébains étaient en marche, et tout un corps d’armée devait arriver avant la fin de la nuit, pour appuyer ceux qui étaient entrés, s’ils rencontraient quelque difficulté. Ils reçurent en chemin la nouvelle de ce qui s’était passé, et continuèrent à avancer au secours des leurs. Platée est à quatre-vingt-dix stades de Thèbes ; la pluie qui survint la nuit retarda leur marche ; le fleuve Asopus se gonfla et devint difficile à traverser. Ils cheminèrent sous la pluie, ne passèrent le fleuve qu'avec peine, et arrivèrent trop tard ; déjà les leurs étaient ou tués, ou prisonniers. A cette nouvelle, les Thébains songèrent à un coup de main contre ceux des Platéens qui étaient hors de la ville ; car naturellement beaucoup d’habitants, ne pouvant prévoir cette surprise en pleine paix, étaient à la campagne avec leurs effets. Les Thébains voulaient faire quelques prisonniers qui leur répondissent de leurs compatriotes enfermés dans la ville, s’il y en avait à qui on eût laissé la vie. Tel était leur dessein : ils délibéraient encore quand les Platéens, soupçonnant leurs projets et inquiets pour ceux qui étaient au dehors, envoyèrent un héraut leur déclarer que leur tentative sur Platée, en pleine paix, était une violation des lois les plus sacrées ; qu’ils eussent à ne faire aucun mal à ceux du dehors, s’ils ne voulaient que les Platéens missent à mort les prisonniers qu’ils avaient entre les mains ; que si, au contraire, ils sortaient du territoire, on s’engageait à les leur rendre. Tel est du moins le récit des Thébains, et ils ajoutent que cette convention fut jurée. Les Platéens prétendent, au contraire, qu’ils ne s’étaient pas engagés tout d’abord à rendre les prisonniers, mais seulement après pourparlers et en cas d’accommodement ; ils nient s’être liés par serment. Les Thébains sortirent donc du pays, sans faire aucun mal. Les Platéens, après avoir rentré en toute hâte ce qui était au dehors, massacrèrent aussitôt leurs prisonniers. Parmi eux se trouvait Eurymaque, avec qui les traîtres s’étaient concertés. VI. Cela fait, ils envoyèrent un messager à Athènes, rendirent aux Thébains leurs morts par convention, et firent dans la ville toutes les dispositions que parurent exiger les circonstances. Les Athéniens apprirent bientôt ce qui avait eu lieu à Platée, et sur-le-champ ils arrêtèrent tous les Béotiens qui étaient dans l’Attique. En même temps ils envoyèrent un héraut ordonner aux Platéens do ne prendre aucune décision à l’égard des Thébains prisonniers, avant que les Athéniens eussent aussi délibéré sur leur sort ; car leur mort n’avait pas encore été annoncée à Athènes. Le premier courrier étant parti au moment même de l’entrée de Thébains, et le second peu de temps après qu’ils avaient été vaincus et arrêtés, on n’y connaissait rien de ce qui s’était passé ensuite, et c’était dans cette ignorance qu’on avait expédié le message. Quand le héraut arriva, il trouva les Thébains égorgés. Les Athéniens envoyèrent ensuite des troupes à Platée· ; ils y mirent garnison et emmenèrent les hommes inutiles à la défense, ainsi que les femmes et les enfants. VII. Après le coup de main sur Platée, la trêve était ouvertement rompue : les Athéniens sc préparèrent à la guerre ; les Lacédémoniens et leurs alliés en firent autant de leur côté. De part et d'autre on se disposa à envoyer des ambassades au roi et chez les autres barbares, partout enfin où chacun espérait obtenir des secours. En même temps ils agissaient auprès des villes en dehors de leur domination pour les rattacher à leur alliance. Les Lacédémoniens, indépendamment des vaisseaux que leur fournissaient l’Italie et la Sicile, ordonnèrent aux villes qui avaient embrassé leur parti d’en construire d’autres, en proportion de leur importance, de manière à ce que la flotte comptât en tout cinq cents vaisseaux La flotte des alliés fut loin d’atteindre jamais ce chiffre. . Ils avertirent leurs alliés de préparer une somme déterminée, de se tenir d’ailleurs en repos, et de n’admettre qu’un vaisseau athénien à la fois jusqu’à ce que tous les préparatifs fussent terminés. Les Athéniens, de leur côté, firent le recensement de leurs alliés et envoyèrent de toutes parts des députés, particulièrement dans les pays qui entourent le Péloponnèse, à Corcyre, à Céphallénie, chez les Acarnanes, à Zacynthe ; car ils sentaient qu’avec l'amitié de ces peuples ils pourraient, en toute confiance, porter le ravage autour du Péloponnèse Zacynthe, Céphallénie et Corcyre, situées à l’ouest de la Grèce, offraient aux Athéniens des lieux de refuge et de ravitaillement, lorsque leurs flottes faisaient le tour du Péloponnèse. . VIII. De part et d’autre on ne formait que de vastes desseins, et on se préparait à la guerre de toutes ses forces. Cela se conçoit ; au début, on embrasse toujours avec plus d’ardeur ; et, d’ailleurs, il y avait alors, dans le Péloponnèse et à Athènes, une nombreuse jeunesse qui n’était pas fâchée, grâce à son inexpérience, d’essayer de la guerre. Tout le reste de la Grèce contemplait, dans une attente inquiète, la lutte engagée entre les États souverains. De nombreuses prédictions circulaient ; partout les devins chantaient des oracles, soit dans les villes qui allaient en venir aux mains, soit dans le reste de la Grèce Aristophane se moque à chaque instant de ces oracles qui se publiaient à Athènes : « Cléon chante des oracles et le vieillard (le peuple) siffle. » Chev., 61. , Délos avait éprouvé peu auparavant un tremblement de terre, ce qui n’était pas arrivé encore Hérodote parle cependant, mais par ouï-dire, d’un tremblement de terre qui aurait eu lieu environ soixante ans plus tôt. vi , 98. , aussi haut que remontassent les souvenirs des Grecs. On disait et on croyait que c’était là un présage des événements qui se préparaient, et on recherchait curieusement dans le passé tous les indices du même genre. On était, en général, beaucoup plus porté pour les Lacédémoniens, par ce motif surtout qu’ils avaient annoncé l’intention d’affranchir la Grèce. De toutes parts, villes et particuliers rivalisaient d’ardeur et s’empressaient à embrasser leur cause, soit en paroles, soit en action ; chacun croyait que quelque chose pécherait là où il ne serait pas de sa personne ; conséquence naturelle de l’exaspération générale contre les Athéniens ! les uns voulant s’affranchir de leur domination, les autres craignant d’y être soumis. Tels étaient les préparatifs et les dispositions réciproques quand on se jeta dans la lutte. IX. Voici les alliés qu’avait chacun des deux partis au début des hostilités : du côté des Lacédémoniens étaient tous les peuples du Péloponnèse en deçà de l'isthme, excepté les Argiens et les Achéens qui avaient des relations d’amitié avec les deux nations rivales. Seuls parmi les Achéens, les habitants de Pellène Sur le golfe de Corinthe, à l’ouest de Sicyone. prirent tout d’abord parti pour les Lacédémoniens ; tous les autres les imitèrent ensuite ; en dehors du Péloponnèse, les Mégariens, les Phocéens, les Locriens, les Béotiens, les Ambraciotes, les Leucadiens, les Anactoriens. Ceux qui fournirent des vaisseaux furent les Corinthiens, les Mégariens, les Sicyoniens, les habitants de Pellène, d’Élée, d’Ambracie et de Leucade. Les Béotiens, les Phocéens, les Locriens Les Locriens Opuntes. envoyèrent de la cavalerie , les autres villes de l’infanterie. Tels étaient les alliés des Lacédémoniens. Ceux d’Athènes étaient Chio, Lesbos, Platée, les Messéniens de Naupacte, la plus grande partie des Acarnanes, les Corcyréens, les Zacynthiens, et un grand nombre d’autres villes qui leur payaient tribut dans une foule de contrées : ainsi la Carie maritime, les Doriens limitrophes de la Carie, l’Ionie, l’Hellespont, la presqu’ile de Thrace, toutes les îles situées à l’orient entre le Péloponnèse et la Crète, toutes les autres Cyclades, à l’exception seulement de Mélos et de Théra. Chio, Lesbos et Corcyre fournissaient des navires, les autres de l’infanterie et de l’argent. Tels étaient les alliés des deux partis et les ressources dont ils disposaient pour la guerre. X. Les Lacédémoniens, après l’affaire de Platée, envoyèrent aussitôt dans toutes les directions prévenir leurs alliés, soit du Péloponnèse, soit du dehors, de préparer leurs forces et de faire toutes les dispositions nécessaires pour une expédition hors du pays, annonçant qu’on allait envahir l’Attique. Lorsque tout fut prêt, au temps marqué, les confédérés se rendirent à l’isthme, et chaque ville y envoya les deux tiers de son contingent. Dès que toutes les forces furent réunies, Archidamus, roi des Lacédémoniens, qui commandait l’armée d’invasion, ayant convoqué les généraux de toutes les villes, ainsi que les hommes du plus haut rang et les plus considérables, leur parla ainsi : XI. « Lacédémoniens et alliés, nos pères aussi ont fait de nombreuses expéditions, soit dans le Péloponnèse, soit au dehors, et les plus âgés d’entre nous ne sont pas sans expérience de la guerre ; jamais cependant nous ne sommes entrés en campagne avec un plus formidable appareil ; mais, si nous sommes nombreux et pleins de bravoure, la ville contre laquelle nous marchons a aussi une très grande puissance. Il est donc juste que nous ne nous montrions ni inférieurs à nos ancêtres, ni au-dessous de notre propre gloire. Songez que cette entreprise tient en suspens toute la Grèce attentive. Toutes les pensées sont fixées sur nous, et chacun, en haine des Athéniens, fait des voeux ardents pour nos succès. Il ne faut pas, toutefois, dans la pensée que nous marchons en nombre et qu’il est peu à craindre que l’ennemi ose se mesurer avec nous, avancer, pour cela, avec moins de prudence et de précaution : généraux et soldats de chaque ville, chacun de son côté doit, au contraire, s’attendre toujours à tomber en quelque péril ; car l’imprévu règne à la guerre, et le plus souvent il ne faut qu’un fait sans importance, un corps qui se laisse entraîner, pour amener une action. Bien des fois une armée plus faible, grâce à une prudente défiance, a lutté avec avantage contre des troupes plus nombreuses, mais trop confiantes, et dès lors mal préparées. Il faut, en pays ennemi, marcher avec la confiance au fond du coeur, mais n’agir en réalité qu’avec défiance, et être toujours prêt. Alors on n’a pas moins de sécurité contre les entreprises de l’ennemi que d’intrépidité pour l’attaque. Quant à nous, nous marchons contre une ville qui, bien loin d’être incapable de se défendre, a au contraire d’abondantes ressources de tout genre. Les Athéniens n’ont fait, jusqu’à présent, aucun mouvement, parce que nous ne sommes pas encore sur leur territoire ; mais nous devons tenir pour certain qu’ils viendront nous combattre dès qu’ils nous verront porter sur leurs biens le ravage et la dévastation, car il n’est personne qui ne se sente transporté de colère en présence de désastres actuels, inaccoutumés, accomplis sous ses yeux ; moins on réfléchit alors, et plus on montre d’emportement dans l’action. C’est ce qui vraisemblablement arrivera aux Athéniens, plus encore qu’à personne, eux qui prétendent commander aux autres, et qui sont plus accoutumés à aller porter le ravage chez leurs voisins qu’à le voir porter chez eux. « Puisque nous allons combattre une aussi puissante république, dans une entreprise qui doit couvrir de gloire et nos ancêtres et nous-mêmes, marchez où l’on vous conduira, dans la bonne et la mauvaise fortune, suivant les événements ; mettez au-dessus de tout la discipline et la vigilance, et obéissez vivement au commandement ; car rien n’est plus beau, rien n’offre plus de garanties de sécurité que des masses disciplinées et agissant comme un seul homme. » XII. Après ces paroles, Archidamus congédia l’assemblée. Il envoya d’abord à Athènes le Spartiate Mélésippus, fils de Diacritus, afin de savoir si les Athéniens, voyant l’armée déjà en marche, seraient plus traitables. Mais ils ne l’admirent ni à l’assemblée, ni même dans la ville. Conformément à l’avis de Périclès, ils avaient précédemment décidé de ne recevoir ni héraut, ni députés, du moment où les Lacédémoniens seraient en campagne. Ils le renvoyèrent donc sans l’entendre, et lui signifièrent d’être hors des frontières le jour même, ajoutant que les Lacédémoniens devaient d’abord rentrer chez eux, et alors seulement envoyer des ambassadeurs, s’ils voulaient présenter quelque réclamation. On fit accompagner Mélésippus , pour qu’il ne communiquât avec personne ; arrivé à la frontière et sur le point de quitter ses conducteurs, il ne prononça que ces paroles : « Ce jour sera pour les Grecs le commencement de grands malheurs ; » puis il continua sa route. Lorsqu’il fut de retour, Archidamus, voyant que les Athéniens ne feraient aucune concession, se décida à lever le camp et à marcher vers l’Attique. Les Béotiens, qui avaient fourni aux Lacédémoniens, pour l’expédition commune, leur contingent en cavalerie, entrèrent avec le reste de leurs forces sur le territoire de Platée et le ravagèrent. XIII. Les Péloponnésiens, rassemblés sur l’isthme, venaient de se mettre en marche et n’avaient pas encore pénétré dans l’Attique. Périclès, qui commandait les Athéniens avec neuf autres généraux, étant uni à Archidamus par les liens de l’hospitalité, soupçonna, lorsqu’il vit que l'invasion allait avoir lieu, qu’Archidamus pourrait bien épargner et préserver du ravage la plus grande partie de ses terres, soit par un sentiment personnel de bienveillance, soit que les Lacédémoniens lui en eussent donné l’ordre afin de rendre Périclès sus- pect, comme ils avaient déjà cherché à le compromettre en demandant l’expulsion des sacriléges. Pour prévenir tout soupçon, il déclara aux Athéniens, dans l’assemblée, qu’Archidamus était son hôte, mais qu’il ne pouvait en résulter aucun préjudice pour la république ; que si les ennemis ne ravageaient pas ses terres et ses maisons de campagne, comme celles des autres, il en faisait l’abandon à l’État ; qu’il ne devait par conséquent y avoir là aucun motif de soupçon contre lui. En même temps il insista, en vue des circonstances présentes, sur les conseils qu'il leur avait donnés précédemment : se préparer à la guerre ; transporter à Athènes ce qui était à la campagne ; ne pas sortir pour combattre ; s’enfermer, au contraire, dans la ville et la garder ; mettre en état la flotte qui faisait leur force ; enfin, avoir toujours les alliés sous leur main ; car, disait-il, c’est d’eux que dépend la puissance de la république, grâce au tribut qu’ils payent, et, à la guerre, c’est la prudence et l’abondance d’argent qui, en général, assurent la supériorité. Comme motif de confiance, il leur dit que le tribut Voyez sur les tributs le Voyage d’Anacharsis , chap. 10 et 56. payé à la république par les alliés s’élevait en moyenne à six cents ta- lents Plus de 3 millions. — Le talent attique équivalait à 5,560 fr. de notre monnaie. Le tribut payé par les alliés fut porté plus tard à 1,200 talents. , sans compter (es autres revenus Les principales sources de revenu étaient la location des terres publiques, les mines d’or et d'argent, l’impôt sur les étrangers établis à Athènes, etc. , et qu’il restait encore actuellement à l’acropole six mille talents d’argent monnayé. (Le maximum avait été de neuf mille sept cents talents, dont une partie avait été employée aux propylées de l’acropole Les propylées avaient été construits par l’architecte Mnésiclès (434 av. J.-C.). On y avait consacré deux mille douze talents. , à d’autres constructions et au siége de Potidée.) Il ne comprenait pas dans cette somme l’or et l’argent non monnayés, résultant des offrandes privées et publiques, les vases sacrés affectés aux cérémonies et aux jeux, les dépouilles des Mèdes Entre autres le trône sur lequel Xerxès contempla la bataille de Salamine, et le cimeterre de Mardonius. , et d’autres richesses du même genre qui n’allaient pas à moins de cinq cents talents. Il énuméra aussi les richesses des autres temples, qui étaient assez considérables, et dont ils pourraient se servir, y compris même les ornements d’or qui couvraient la statue de la déesse, si toutes les autres ressources faisaient défaut. Il établit qu’il y avait là quarante talents pesant d’or pur, et que la totalité pouvait se détacher. Cependant il ajoutait que, si l’on en faisait usage pour le salut public, il faudrait plus tard le remplacer par un poids égal. Après les motifs de confiance tirés de leurs richesses, il passa à l’énumération des troupes : il y avait treize mille hoplites, non compris seize mille hommes dans les forts ou à la garde des murs. Car tel était à l’origine, lors de l'invasion des ennemis, le nombre des hommes préposés à la garde ; ces derniers hoplites étaient des vieillards, des jeunes gens, ou des métèques. L’étendue du mur de Phalère jusqu’à l’enceinte de la ville était de trente-cinq stades Le stade grec était d’un peu moins de cent quatre-vingtcinq mètres. , et la partie gardée de cette dernière enceinte, de quarante-trois ; une portion n’était pas gardée, celle qui s’étend entre le long mur et la muraille de Phalère Cette partie était protégée d’une part par la muraille de Phalère, de l’autre par le long mur. . Les longs murs , jusqu'au Pirée, avaient quarante stades ; on ne gardait que le mur extérieur L’une des deux murailles appelées longs murs était comprise entre l’autre mur et celui de Phalère ; elle était par conséquent intérieure et n’avait pas besoin d’être gardée. . Enfin, l’enceinte du Pirée, y compris Munychie, formait en tout soixante stades ; la moitié seulement était gardée. Périclès établit aussi qu’il y avait douze cents cavaliers, en comptant les archers à cheval, seize cents archers à pied, et trois cents trirèmes en état de tenir la mer. Telles étaient les ressources des Athéniens, — et le reste en proportion, — à l’époque où les Péloponnésiens se disposèrent à envahir l’Attique et où la guerre fut déclarée. Périclès ajouta encore d’autres réflexions, suivant sa coutume, pour leur prouver qu’ils auraient l'avantage dans la guerre. XIV. Les Athéniens, persuadés par ses discours, transportèrent à la ville leurs enfants, leurs femmes, et tous les objets à leur usage qui garnissaient les habitations. Ils enlevèrent jusqu'à la charpente des maisons. Les troupeaux et les bêtes de somme furent envoyés en Eubée Il y avait en Eubée de vastes pâturages. et dans les îles adjacentes. C’était pour eux une dure nécessité que ce déplacement, la plupart ayant toujours été habitués à vivre à la campagne. XV. Depuis les temps les plus reculés, cet usage avait prévalu surtout chez les Athéniens. Sous Cécrops et les premiers rois, jusqu’à Thésée, les habitants de l’Attique étaient disséminés dans des bourgades, qui avaient chacune leurs prytanées Le prytanée était originairement la maison commune, le siége de l’administration locale. C’était là, suivant le scoliaste de Thucydide, que se conservait le feu sacré. et leurs archontes. Lorsqu’il n’y avait aucun danger à redouter, on ne se réunissait pas auprès du roi pour délibérer en commun : chaque bourgade se gouvernait et délibérait à part. On allait même quelquefois jusqu’à faire la guerre au roi ; par exemple, les Éleusiniens, qui s’u- nirent avec Eumolpus, pour combattre Érechtée. Tout changea sous le règne de Thésée : ce prince, qui joignit la puissance à la sagesse, donna au pays une plus forte organisation, et, en particulier, abolit les conseils et les magistratures des bourgades ; il établit un seul conseil, un seul prytanée, dans la ville actuelle, y rassembla tous les citoyens et les contraignit à habiter exclusivement cette ville, tout en laissant chacun administrer ses biens comme auparavant. Tout venant dès lors aboutir à Athènes, elle avait déjà pris un rapide accroissement lorsque Thésée la transmit à ses successeurs. C’est à cette époque que fut établie à Athènes, en l’honneur de la déesse Minerve. , la fête publique appelée Xynoecia Fête de l’habitation en commun. qui se célèbre encore aujourd’hui. Jusque-là, la ville ne consistait que dans l’acropole actuelle , et dans la partie située au-dessous, tout à fait au midi. Ce qui le prouve, c’est que les temples de plusieurs autres Plusieurs divinités autres que Minerve. divinités sont dans l’enceinte de l’acropole et que ceux mêmes placés en dehors sont bâtis dans cette partie de la ville Au sud. : ainsi les temples de Jupiter Olympien, d’Apollon Pythien, de la Terre, et de Bacchus Limnéen Bacchus aux étangs. , en l’honneur duquel on célèbre les antiques Bacchanales le douze du mois Anthestérion, fête encore en usage aujourd’hui chez les loniens, descendants des Athéniens. D’autres temples anciens sont encore bàtis dans ce quartier. La fontaine appelée aujourd’hui les Neuf Canaux, par suite de la disposition que lui donnèrent les tyrans Les pisistratides. , et jadis Callirhoé, lorsqu’elle coulait à découvert, est à peu de distance ; on se servait de ses eaux pour les usages les plus solennels ; et c’est de l’antiquité que vient la coutume, encore en vigueur aujourd’hui, d’y puiser pour les cérémonies qui précèdent le mariage On puisait à cette fontaine l’eau destinée au bain nuptial. et d’autres usages religieux. Enfin, c’est parce que l’acropole fut le plus anciennement habitée qu’aujourd’hui encore les Athéniens l’appellent la ville . XVI. Ainsi les Athéniens vécurent longtemps à la campagne, disséminés et indépendants. Lors même qu’ils furent réunis, la plupart d'entre eux, par habitude, continuèrent à rester aux champs ; leurs successeurs y restèrent, à leur exemple, et y vécurent en famille ; et cela jusqu’à la guerre actuelle. Aussi n’étaitce pas sans peine qu’ils abandonnaient leurs demeures ; il y avait si peu de temps d'ailleurs qu’ils s’y étaient réinstallés après la guerre médique ! Il leur était douloureux et cruel de quitter des lieux sacrés, des habitations où ils avaient conservé les moeurs antiques, et que l’habitude leur avait fait de tous temps considérer comme une patrie. Il leur fallait changer de genre de vie, et ce n'était rien moins pour chacun d’eux qu’un exil loin de la ville natale. XVII. Arrivés dans Athènes, peu d’entre eux y avaient des habitations ; quelques-uns trouvèrent un refuge chez des amis ou des parents ; la plupart s’établirent dans les lieux inhabités, dans les temples, les chapelles des héros, partout enfin, excepté à l’acropole, à l'Éleusinium Temple de Cérès, où se tenaient les assemblées du peuple. et dans quelques autres édifices solidement fermés. Il n'y eut pas jusqu'au lieu appelé Pélas- gicon, au-dessous de l'acropole, qui ne fût occupé, vu l'urgence du moment ; et cependant ce lieu était maudit C’était de ce lieu que les Pélasges avaient attaqué Athènes ; après leur expulsion, il avait été défendu de l’habiter. ; il était défendu de l’habiter, et la fin d’un vers de la pythie l’interdisait en ces termes : « Il vaut mieux que le Pélasgicon soit désert. » Du reste, l’oracle me paraît s’être accompli en sens inverse de ce qu'on attendait : car ce n’est pas parce qu’on profana ce lieu en l’habitant que tant de maux fondirent sur la ville ; mais ce fut la guerre qui contraignit à l’habiter, et c’était la guerre que l’oracle avait eu en vue, sans la nommer, lorsqu’il prévoyait qu’il ne serait pas bon que ce lieu fût occupé. Beaucoup s’installèrent aussi dans les tours des murailles ; chacun enfin comme il put ; car la ville ne pouvait contenir tous ceux qui y accouraient. On se partagea aussi, mais plus tard, les longs murs et on s’y établit, ainsi que dans la plus grande partie du Pirée. En même temps les Athéniens préparaient leurs armements ; ils rassemblaient leurs alliés et équipaient une flotte de cent vaisseaux destinée à agir contre le Péloponnèse. Ils en étaient là de leurs pré- paratifs. XVIII. L’armée des Péloponnésiens s’avançait ; la première ville de l’Attique qu’ils rencontrèrent fut oenoé Petite place forte, sur la route d'Éleusis à Thèbes ; aujourd'hui Giffo Castro, suivant Stanhope et Bloomfield. , qui devait servir de base à l’armée d’invasion. Après avoir assis leur camp, ils se disposèrent à battre les remparts avec des machines et à faire un siége en règle. Car oenoé, située sur les confins de l’Attique et de la Béotie, était fortifiée et servait de place forte en temps de guerre. Les Lacédémoniens préparèrent donc leurs moyens d’attaque et perdirent ainsi un temps précieux autour de cette place. Ce ne fut pas là un des moindres griefs contre Archidamus ; on trouvait qu’il avait montré de la mollesse à réunir les alliés, lorsqu’il s’agissait de décider la guerre et qu’il s’était montré favorable aux Athéniens en ne conseillant pas de la commencer incontinent. Depuis le rassemblement des troupes, son séjour prolongé sur l’isthme, la lenteur de la marche, et surtout le temps perdu devant oenoé, excitaient les rumeurs. Car les Athéniens avaient profité de ce délai pour tout rentrer dans la ville ; et il était présumable au contraire que, sans ces temporisations, les Lacédémoniens, en s’avançant vivement, auraient trouvé tout dehors. Tel était le mécontentement de l’armée, pendant qu’Archidamus séjournait devant oenoé. Quant à lui, il temporisait dans l’espoir, disait-on, que les Athéniens pourraient faire quelques concessions tant que leur territoire ne serait pas entamé et qu’ils redouteraient d’y voir, sous leurs yeux, porter le ravage. XIX. Cependant, après avoir inutilement attaqué oenoé et tout mis en oeuvre sans pouvoir s’en rendre maîtres, sans même que les Athéniens fissent faire de propositions, les Lacédémoniens levèrent le siége et envahirent l’Attique, quatre-vingts jours après la tentative des Thébains sur Platée. On était alors au fort de l’été et au moment de la moisson Vers le milieu de juin. L’éclipse de soleil dont il est question plus loin eut lieu le 3 août, après le départ des Lacédémoniens, qui ne peuvent guère être restés moins d’un mois. . Archidamus, fils de Zeuxidamus, roi des Lacédémoniens, commandait. Ils campèrent d’abord à Éleusis et dans la plaine de Thria Probablement la plage qui s’étend le long de la mer, à l’ouest d’Éleusis. , ravagèrent cette plaine, et remportèrent une sorte d’avantage sur la cavalerie athénienne, vers le lieu nommé Rhité Les Ruisseaux ; ce sont deux petits cours d’eau dans la plaine de Thria. . Ensuite ils s’avancèrent à travers la Cropie, ayant à droite le mont Égaléon C’est de ce mont, suivant Hérodote, que Xerxès contempla la bataille de Salamine ; mais cette version est peu probable, l’Égaléon étant à sept milles du rivage. , et arrivèrent à Acharné Sur le Céphise, à soixante stades d’Athènes. , le plus considérable des dèmes de l’Attique. Ils s'y arrêtèrent, y assirent leur camp et restèrent longtemps à le dévaster. XX. Voici, dit-on, dans quel but Archidamus resta, pendant cette invasion, en ordre de bataille aux environs d’Acharné, sans descendre dans la plaine. Il espérait que les Athéniens, avec leur nombreuse et florissante jeunesse, leur appareil militaire plus imposant que jamais, viendraient à sa rencontre, et ne se contiendraient pas à la vue de leur territoire ravagé. Comme ils ne s’étaient présentés pour combattre ni à Éleusis, ni à la plaine de Thria, il faisait une nouvelle tentative et campait à Acharné dans le dessein de les y attirer. L’endroit lui semblait favorable pour asseoir son camp ; d’ailleurs, il était probable que les Acharnéens, formant une partie considérable de la population (puisqu’ils fournissaient trois mille hoplites), ne laisseraient pas ravager leurs terres, et qu’avec eux toute l’armée sortirait pour combattre. Que si les Athéniens laissaient cette invasion s’accomplir sans sortir de la ville, on pourrait dès lors ravager la plaine avec beaucoup plus de sécurité, et s’avancer jusque sous les murs d’Athènes ; car les Acharnéens, une fois dépouillés de leurs biens, ne devaient plus s’exposer avec la même ardeur pour défendre ceux des autres, et la discorde pénétrerait dans les esprits. Ces considéra- tions déterminèrent Archidamus à demeurer autour d’Acharné. XXI. Tant que l’armée était restée aux environs d’Éleusis et de Thria, les Athéniens avaient pu garder quelque espoir qu’elle ne s’avancerait pas plus près d’eux. Ils se rappelaient que Plistoanax, fils de Pausa- nias, roi des Lacédémoniens, lorsqu’il avait envahi l’Attique, quatorze ans avant cette guerre, s’était avancé avec son armée jusqu’à Éleusis et à Thria, et de là était retourné en arrière, sans pousser plus loin. (Il avait même été exilé de Sparte, sous prétexte qu’il s’était fait acheter cette retraite à prix d’argent.) Mais lorsqu’ils virent l’armée à Acharné, à soixante stades de la ville, leur irritation ne connut plus de bornes. Le spectacle de leurs campagnes ravagées sous leurs yeux, chose que les jeunes gens n’avaient jamais vue, dont les vieillards mêmes n’avaient pas été témoins depuis la guerre médique, leur parut intolérable, et cela se conçoit : tous voulaient, les jeunes gens surtout, sortir de la ville, et ne pas laisser cet outrage impuni. On se formait en groupes, on disputait vivement ; les uns voulaient aller à l’ennemi ; d’autres, mais en petit nombre, s’y opposaient. Les devins chantaient des oracles de tout genre que chacun écoutait suivant les passions qui l’agitaient. Les Acharnéens, qui se croyaient une portion notable du peuple athénien, voyant leur territoire ravagé, insistaient surtout pour une sortie. La ville était profondément agitée en tout sens : on s’indignait contre Périclès Parmi les détracteurs de Périclès, Plutarque cite Cléon, le fameux démagogue, si souvent bafoué par Aristophane, ; on avait oublié tous ses conseils précédents ; on lui faisait un crime de ne pas vouloir, lui général, mener les troupes à l’ennemi ; enfin on le regardait comme l’auteur de tous les maux qu'on souffrait. XXII. Périclès, voyant les Athéniens aigris par leur situation, et dans une disposition d’esprit qui ne leur permettait pas de juger sainement, persuadé d’ailleurs qu'il avait raison de s’opposer à la sortie, ne convoqua ni assemblée, ni réunion d'aucun genre. Il craignait qu'une fois réunis ils ne cédassent à la colère plus qu'à la prudence et ne commissent quelque faute. Il se contentait donc de garder la ville et d’y maintenir autant que possible la tranquillité. Cependant il faisait sortir constamment de la cavalerie, afin d’empêcher les coureurs ennemis de s’écarter de l’armée pour tomber sur les champs voisins de la ville et les dévaster. Il y eut à Phrygia un léger engagement entre des cavaliers athéniens soutenus par les Thessaliens, et un parti de cavalerie béotienne. Les Athéniens et les Thessaliens se soutinrent sans désavantage jusqu’au moment où des hoplites venus au secours des Béotiens les mirent en déroute. Ils perdirent un petit nombre d’hommes et purent, malgré cet échec, enlever leurs morts le jour même, sans convention. Les Péloponnésiens élevèrent un trophée le lendemain. Les Thessaliens avaient secouru les Athéniens en vertu d’une ancienne alliance. Ils venaient de Larisse, de Pharsale, de Parasos, de Cranon, de Pirasos, de Gyrtone et de Phères. Ceux de Larisse étaient commandés par Polymède et Aristonoüs, tous deux de factions différentes L’un, chef de la (action oligarchique, l'autre de la faction populaire. ; ceux de Pharsale par Ménon ; ceux des autres villes avaient aussi leurs chefs parti- culiers. XXIII. Les Lacédémoniens, voyant que les Athéniens ne sortaient pas pour les combattre, levèrent le camp d’Acharné et ravagèrent quelques autres dèmes entre les monts Parnès C’était la montagne la plus élevée de l’Attique ; elle s’étendait du pied du Pentélique à la plaine de Thria. Pausanias dit ( i , 32) qu’on y chassait le sanglier et l’ours. — Aujourd’hui Nozia. et Brilessos Aujourd’hui Tourko Bouni. . Pendant qu’ils étaient ainsi sur le territoire de l’Attique, les Athéniens envoyèrent autour du Péloponnèse les cent vaisseaux qu’ils avaient équipés. Mille hoplites et trois cents archers les montaient, sous le commandement de Carcinus fils de Xénotimus, de Protée fils d’Épiclès, et de Socrate fils d’Antigène. Ils mirent à la voile, et allèrent avec ces forces croiser autour du Péloponnèse. Les Péloponnésiens, après être restés en Attique aussi longtemps qu’ils eurent des vivres, opérèrent leur retraite par la Béotie, en suivant une autre route que celle par laquelle ils étaient venus. En passant par Oropos Sur les confins de la Béotie, à peu de distance de la mer ; aujourd’hui Oropo. La plaine appelée Pyraïque était située entre Oropas et Tanagre. , ils ravagèrent la plaine appelée Pyraïque, habitée par les Oropiens, sujets des Athéniens. De re- tour dans le Péloponnèse, ils se séparèrent et chacun rentra dans son pays. XXIV. Après leur départ, les Athéniens établirent des gardes sur terre et sur mer ; ce service des gardes devait durer tout le temps de la guerre. Ils décrétèrent que, sur les sommes déposées à l’acropole, mille talents seraient prélevés pour être mis à part, sans qu’on pût les dépenser, et que le reste serait consacré aux frais de la guerre. La peine de mort fut prononcée contre quiconque parlerait de toucher à ces mille talents, ou proposerait un décret dans ce sens, à moins que ce ne fût pour repousser une armée d’invasion venant par mer attaquer la ville. On décida également que chaque année les cent meilleures trirèmes seraient tenues en réserve, avec leurs commandants nommés d’avance, et qu’on ne disposerait d’aucune d’elles si ce n’est pour parer, le cas échéant, au danger en vue duquel l’argent avait été mis en réserve. XXV. Les Athéniens qui montaient les cent vaisseaux envoyés autour du Péloponnèse avaient été rejoints par les Corcyréens, avec un secours de cinquante navires, et par quelques autres alliés de ces contrées Corcyre, Zacynthe, Céphallénie. : leur croisière porta le ravage sur plusieurs points et en particulier à Méthone de Laconie Aujourd’hui Modon, un peu au sud de Navarin. où ils firent une descente. Déjà ils attaquaient la muraille, qui était faible et dépourvue de défenseurs ; mais dans le voisinage se trouvait le Spartiate Brasidas, fils de Tellis, à la tête d’un poste de surveillance : à cette nouvelle, il se porta avec cent hoplites au secours de la place, traversa à la course le camp des Athéniens dispersés dans la campagne et occupés au siége, et se jeta dans Méthone, sans autre perte que celle de quelques hommes tués dans la traversée du camp. Il sauva ainsi la ville et pour cet acte d’audace il obtint le premier, dans cet te guerre, les honneurs de l’éloge public à Spar te. Les Athéniens, ayant levé l'ancre, côtoyèrent le rivage et descendirent sur le territoire de Phia, en Élide, qu’ils ravagèrent pendant deux jours. Trois cents hommes d’élite envoyés à leur rencontre par les Éléens de la basse Élide et des environs furent vaincus par eux ; mais un vent impétueux s'éleva ; la plupart des bâtiments, battus par la tempête sur une plage sans abri, reprirent la mer et se dirigèrent en doublant le cap Ichthys vers le port de Phia. Pendant ce temps les Messéniens et quelques autres qui n’avaient pu monter sur les vaisseaux s’avancèrent par terre jusqu à Phia et s’en emparèrent. La flotte, après avoir doublé le cap, vint ensuite les recueillir et l'on regagna le large, abandonnant Phia, au secours de laquelle venait d'arriver un corps nombreux d'Éléens. Les Athéniens continuèrent à suivre les côtes et dévastèrent plusieurs autres points. XXVI. Vers le même temps les Athéniens envoyèrent contre la Locride trente vaisseaux, chargés en même temps de garder l’Eubée. Cléopompe, fils de Clinias, qui les commandait, fit plusieurs descentes, ravagea quelques points du littoral et s’empara de Thronium, où il prit des otages. Il attaqua et battit à Alopé les Locriens venus au secours de cette place. XXVII. Dans ce même été les Athéniens expulsèrent d'Égine tous les habitants, y compris les femmes et les enfants, sous prétexte qu’ils étaient les principaux auteurs de la guerre. Ils sentaient que la possession d’Égine, qui touche au Péloponnèse, serait bien mieux assurée dans leurs mains en y établissant des colons athéniens ; et, en effet, ils y envoyèrent, peu de temps après, une colonie. Les Lacédémoniens, en haine des Athéniens, et aussi en reconnaissance des services que les Éginètes leur avaient rendus lors du tremblement de terre et du soulèvement des Hilotes, assignèrent pour habitation aux exilés la ville de Thyréa, avec la jouissance des campagnes environnantes. Le territoire de Thyréa confine à l’Argie et à l’Argolide, et s’étend jusqu’à la mer. Une partie des Éginètes s’y établit ; les autres se dispersèrent dans le reste de la Grèce. XXVIII. Dans le cours du même été, le soleil s’éclipsa après midi, à la nouvelle lune, la seule époque où il semble que ce phénomène puisse avoir lieu ; on vit le soleil affecter la forme d’un croissant ; quelques étoiles brillèrent, et le disque reparut ensuite tout entier. XXIX. Dans le même été, l’Abdéritain Nymphodore, fils de Pythès, dont la soeur avait épousé Sitalcès et qui jouissait d’un grand crédit auprès de ce prince, reçut des Athéniens le titre de proxène Hôte public. et fut mandé à Athènes. Les Athéniens qui, jusque-là, avaient vu en lui un ennemi, cédèrent au désir de se faire un allié de Sitalcès, fils de Térès, roi des Thraces. Ce Térès, père de Sitalcès, est le premier fondateur de la puissance des Odryses Thucydide dit plus loin ( ii , 97) que cet empire des Odryses était le plus puissant qui fût en Europe, du Pont-Euxin à la mer lonienne. ; c’est lui qui a enveloppé dans leur vaste royaume la portion la plus considérable de la Thrace (car il y a aussi une grande partie des Thraces qui sont restés autonomes Indépendants, se gouvernant par leurs propres lois. ). Ce Térès n’a rien de commun avec Térée qui avait épousé Procné, fille de Pandion d’Athènes ; et même le nom de Thrace s'applique dans les deux cas à des contrées différentes ; car Térée habitait Daulie ; ville de la Phocide actuelle, occupée alors par les Thraces. C’est là que les femmes commirent sur Itys Itys, fils de Térée et de Procné, fut tué par sa mère qui le fit cuire et servir à Térée pour se venger de ses infidélités. cet attentat si fameux, et c’est pourquoi beaucoup de poëtes, en parlant du rossignol, le nomment l’oiseau de Daulie. Il est vraisemblable, d’ailleurs, que Pandion dut plutôt établir sa fille dans un pays voisin, en vue d’avantages réciproques, que chez les Odryses, à plusieurs jours de marche. Térès, qui n’a pas même avec Térée la conformité du nom, fut le premier roi puissant des Odryses. C’est avec son fils Sitalcès que les Athéniens contractèrent alliance, dans le but de soumettre la presqu’ìle de Thrace et même Perdiccas. Nymphodore vintà Athènes, cimenta l’alliance avec Sitalcès, et obtint pour Sadocus, fils du roi, le droit de cité. En même temps il promit de mettre fin à la guerre de Thrace en décidant Sitalcès à envoyer aux Athéniens un corps de cavalerie thrace et des peltastes. Il réconcilia aussi Perdiccas avec les Athéniens en les engageant à lui rendre Thermé, et aussitôt Perdiccas marcha contre les Chalcidiens, de concert avec les Athéniens et Phormion. C’est ainsi que Sitalcès, fils de Térès, roi des Thraces, et Perdiccas, fils d’Alexandre, roi des Macédoniens, entrèrent dans l’alliance des Athéniens. XXX. Les Athéniens qui montaient les cent vaisseaux croisaient encore autour du Péloponnèse ; ils prirent Solium Pouqueville croit avoir découvert les ruines de Solium, à peu de distance de Slavena. , place des Corinthiens, et l’abandonnèrent, avec son territoire, aux habitants de Phalère, pour en jouir à l’exclusion de tous les autres Acarnanes. Ils prirent également de vive force Astacos Près de l’embouchure de l’Achéloüs. — Aujourd’hui Dragomestri. , en chassèrent le tyran Évarque, et firent entrer le pays dans leur alliance. Faisant ensuite voile vers Céphallénie, ils la soumirent sans combat. Céphallénie, située en face de l’Acarnanie et de Leucade, renferme quatre villes : celles des Paléens, des Craniens, des Saméens et des Pronéens. Peu de temps après la flotte rentra à Athènes. XXXI. Ce même été, vers l’automne, les Athéniens en masse, citoyens et métèques ,· envahirent la Mégaride, sous le commandement de Périclès, fils de Xanthippe. La flotte de cent vaisseaux qui avait croisé autour du Péloponnèse se trouvait alors à Égine, effectuant son retour à Athènes. Ceux qui la montaient, à la première nouvelle que la population de la ville s’était portée en masse contre Mégare, firent voile aussitôt de ce côté et allèrent se réunir à l’expédition ; jamais armée athénienne aussi nombreuse ne s’était trouvée rassemblée dans un même camp : la république était alors dans toute sa puissance et la maladie La peste, décrite plus loin. n’avait pas encore sévi. Les Athéniens seuls ne fournissaient pas moins de dix mille hoplites, non compris trois mille qui étaient à Potidée. Trois mille hoplites métoeques au moins prirent part à cette expédition ; et il y avait, de plus, un corps nombreux de troupes légères. Après avoir ravagé la plus grande partie du pays, ils s’en retournèrent. Les Athéniens firent encore dans le cours de cette guerre d'autres excursions en Mégaride : chaque année Un décret de Charinus obligeait les généraux athéniens à jurer d’envahir, deux fois l’an, la Mégaride. le pays était envahi soit par la cavalerie, soit par l’armée entière, jusqu’au moment où ils s’emparèrent de Nisée. XXXII. Les Athéniens fortifièrent, à la fin du même été, Athalante Aujourd’hui Talantonisi, en face de la ville de Talanti. , île voisine des Locriens d’Oponte et auparavant déserte ; ils y mirent garnison, afin d’empêcher que les pirates d’Oponte et du reste de la Locride ne vinssent infester l’Eubée. Tels sont les événements accomplis dans le cours de cet été après que les Péloponnésiens eurent évacué l’Attique. XXXIII. L’hiver suivant, l’Acarnane Évarque, voulant rentrer à Astacos, décida les Corinthiens à l’y reconduire avec une flotte de quarante vaisseaux et quinze cents hoplites. Lui-même soudoya quelques troupes auxiliaires. A la tête de l’expédition étaient Euphamidas, fils d’Aristonyme, Timoxène, fils de Timocrate, et Eumachus, fils de Chrysès, Ils firent voile vers Astacos et rétablirent le tyran. Ils voulurent aussi soumettre quelques autres places du littoral de l’Acar- nanie ; mais leur entreprise, échoua et ils reprirent la route de Corinthe. En côtoyant Céphailénie ils s’arrêtèrent et firent une descente sur le territoire des Craniens ; mais trompés par ceux-ci à la suite d’une convention et attaqués à l’improviste, ils perdirent une partie de leur monde, furent vivement ramenés et reprirent la mer pour rentrer chez eux. XXXIV. Le même hiver, les Athéniens firent, suivant l’usage du pays, de solennelles funérailles à ceux qui les premiers périrent dans cette guerre Au combat des Ruisseaux. . Voici l’ordre établi : trois jours avant les obsèques C’était l’usage à Athènes d’exposer les corps pendant trois Jours avant les obsèques. V. Aristophane , Lysistr., 611 et suiv. on expose les ossements des morts sous une tente dressée à cet effet, et chacun apporte ce qu’il veut en offrande à celui qu’il a perdu. Quand arrive le moment de la cérémonie funèbre, des chars s’avancent chargés de cercueils de cyprès, un pour chaque tribu ; les ossements Les ossements sont pris ici pour les cendres ; car l’usage était à Athènes de brûler les morts. y sont déposés suivant la tribu à laquelle chacun appartenait. On porte aussi un lit funéraire tout dressé, mais vide, pour les absents, ceux dont on n’a pu retrouver les corps. Chacun peut, à volonté, se joindre au cortège, citoyens et étrangers. Les parentes sont auprès du tombeau, poussant des gémissements. On dépose les ossements dans le monument funèbre de la république, au plus beau faubourg de la ville Le Céramique. ; c’est là que sont ensevelis tous les guerriers morts dans les combats. Il n’y eut qu’une exception, pour ceux de Marathon Pausanias dit également : « Dans la plaine (de Marathon) « est le tombeau des Athéniens ; sur des colonnes sont inscrits « les noms des morts, par tribu. » , que leur incomparable bravoure fit juger dignes d’être inhumés sur le champ de bataille. Lorsque la terre a recouvert les morts, un orateur officiellement désigné et choisi parmi les hommes les plus éminents par le talent, les plus élevés en dignité, prononce sur eux un éloge approprié à la cir- constance ; après quoi chacun se retire. Ainsi se font les funérailles L’usage des funérailles publiques paraît fort ancien chez les Grecs ; mais, avant Périclès, nous ne trouvons aucune trace de ces éloges prononcés sur le tombeau. ; et cet usage fut invariablement suivi, toutes les fois qu’il y eut lieu, dans le cours de cette guerre. Périclès, fils de Xanthippe, fut choisi pour prononcer l’éloge des premiers guerriers morts. Le moment venu, il s’avança du tombeau sur un tertre élevé, afin d’être entendu le plus loin possible par la foule, et parla ainsi : XXXV. « La plupart de ceux qui ont parlé ici avant moi ont célébré le législateur qui, aux cérémonies établies par la loi, a ajouté ce discours Ce n’est que fort tard, suivant Denys d'Halicarnasse, que l'éloge des guerriers fut ajouté à la cérémonie funèbre ; d’après Diodore de Sicile (livre xi ), on accorda pour la première fois cet honneur aux guerriers morts en combattant les Perses. ; Il est beau, disaient-ils, que les guerriers morts en combattant reçoivent, sur leur tombe, ce tribut d’éloges. Pour moi, je croyais qu’à des hommes dont la bravoure s’est signalée par des faits, il suffirait de rendre des honneurs de fait, comme ceux que vous voyez ici solennellement préparés autour de ce tombeau, au lieu de faire dépendre la croyance aux vertus de tant de braves d’un seul orateur plus ou moins habile à les faire valoir. Car il est difficile de garder une juste mesure ; et cela même suffit à peine pour que les paroles de l’orateur obtiennent une entière confiance. L’auditeur bienveillant et qui connaît les faits s’imagine aisément qu’on est resté dans l’exposition au-dessous de ce qu’il veut et de ce qu’il sait ; celui qui ne sait pas est porté, par envie, à trouver exagéré ce qui dépasse sa portée ; car on ne supporte guère l’éloge donné à autrui qu’autant qu’on se croit capable de faire personnellement quelque chose de semblable ; ce qui s’élève plus haut rencontre aussitôt envie et défiance. Mais, puisque ainsi l’ont établi nos ancêtres, je dois me conformer à la loi et m’efforcer de répondre, autant que possible, au désir et à l’attente de chacun de vous. XXXVI. «Et d’abord, je commencerai par nos aïeux. Car il est juste, il est convenable, en cette circonstance, de payer à leur mémoire ce tribut d’honneur. La même race d’hommes a toujours habité ce pays ; et, par une succession non interrompue, ils nous l’ont transmis libre jusqu’à ce jour, grâce à leurs vertus. Tous ont droit à nos éloges, mais surtout nos pères ; car ce sont eux qui, à l’héritage qu’ils avaient reçu, ont ajouté, non sans labeur, tout l’empire que nous possédons, et l’ont légué à la génération actuelle. Et nous aussi, nous qui sommes ici encore dans la maturité de l’âge, nous avons contribué, plus que personne, à l’accroissement de cette puissance. La république nous doit de pouvoir, en toutes choses, se suffire largement à elle-même, et dans la guerre et dans la paix. Quant aux exploits par lesquels s’est graduellement accrue notre puissance, à la lutte courageuse soutenue par nos pères et par nous-mêmes contre les attaques des barbares et des Grecs, je ne vous apprendrais rien en m'appesantissant sur ces faits. Je les passerai donc sous silence. Mais , avant d’arriver à l’éloge de ces guerriers, je montrerai d’abord dans l’ensemble de notre conduite la raison de ces accroissements. Je dirai les institutions politiques, les moeurs base de notre grandeur, persuadé que ces détails ne seront point déplacés en ce moment, et que pour tous ceux qui sont ici réunis, citoyens et étrangers, il y a utilité à les entendre. XXXVII. « Dans nos institutions politiques, nous ne cherchons pas à copier les lois des autres peuples ; nous servons de modèle, au lieu d’imiter autrui. Le nom de notre gouvernement est démocratie, parce que le pouvoir relève, non du petit nombre, mais de la multitude. Dans les différends entre particuliers, il y a pour tous égalité devant la loi : quant à la considération, elle s’attache au talent dans chaque genre, et c’est bien moins le rang qui décide de l’élection aux emplois publics, que les mérites personnels ; la pauvreté, une condition obscure, ne sont pas un empêchement, du moment où l’on peut rendre quelque service à l’État Sous Solon, les pauvres et les citoyens des dernières classes étaient exclus des charges ; mais du temps de Périclès toutes les fonctions étaient accessibles à tous ; malheureusement elles étaient accordées le plus souvent, non au mérite, comme le dit Périclès, mais à l’intrigue. Aristophane se moque souvent des généraux qui doivent à l’élection tous leurs talents ; Socrate, dans Platon, ne manque guère non plus l’occasion de tourner en ridicule le système électif. . « Pleins de franchise et de droiture dans l'administration des affaires publiques, nous ne portons pas, dans le commerce journalier de la vie, un oeil soupçonneux sur les affaires d’autrui ; nous ne nous irritons point contre notre semblable, s’il accorde quelque chose à son plaisir ; nous savons lui épargner cet aspect dur et sévère qui, sans être une peine, n’en est pas moins blessant Tous ces éloges adressés aux Athéniens cachent une critique des Lacédémoniens, dont les moeurs étaient au contraire dures et sévères, les habitudes soupçonneuses, etc. . Sans rudesse dans nos relations privées, nous nous conformons aux lois dans nos actes publics, surtout par respect pour elles ; nous obéissons aux magistrats, quels qu’ils soient, aux lois en vigueur, surtout à celles établies dans l’intérêt des opprimés, et à celles qui ne sont pas écrites, il est vrai, mais à la violation desquelles la honte a été attachée d’un com- mun accord.